Les lauréats du prix littéraire Fetkann ! 2011 – Mémoire des pays du sud/mémoire de l’humanité sont désormais connus. Quatre lauréats ont été récompensés ce 24 novembre 2011, à Paris, dans les catégories Mémoire, Recherche, Jeunesse et Poésie, auxquelles s’ajoute une mention spéciale du jury.
Prix Fetkann ! de la mémoire
David Macey, pour Frantz Fanon, une vie – Éditions La Découverte 2011
Plus on s’éloigne de sa mort, survenue le 6 décembre 1961, plus Frantz Fanon semble d’actualité. C’est ce que montre David Macey dans cet ouvrage qui s’est imposé comme la biographie de référence sur le penseur de l’émancipation, aux vies enchevêtrées : depuis la Martinique, d’où il s’engagea, jeune homme, dans les forces de la France libre pour libérer la métropole du joug nazi, jusqu’à son inhumation en Algérie, – son pays d’adoption, quelques mois seulement avant l’indépendance de ce pays.
Colonisé et descendant d’esclave, Fanon le demeura dans chaque ligne qu’il écrivit. Algérien et africain, il le devint par choix et par nécessité, après son installation comme psychiatre en Afrique du Nord. Inscrivant avec une étonnante précision chaque épisode de la vie de Fanon dans son contexte, tant historique qu’idéologique, éclairant ce destin hors norme grâce aux témoignages de ses proches et de ses contemporains, David Macey libère l’auteur des Damnés de la terre des mythologies dans lesquelles son personnage a été trop souvent enfermé, icône du tiers monde ou, ensuite, star des études « postcoloniales ». Plutôt que de le faire vivre en théories, David Macey cherche au contraire à redonner chair à cet homme bouillonnant.
Prix Fetkann ! de la recherche
Guillaume Hervieux, pour L’ivresse de Noé, Histoire d’une malédiction – Éditions Perrin, 2011
Furieux d’avoir été surpris ivre et nu par son fils Cham, Noé condamne le fils de ce dernier et sa descendance à être esclaves de leurs frères. Cet ouvrage analyse le mythe de cette malédiction, expliquant le rôle qu’il a joué dans l’esclavage des Africains, mais aussi dans bien d’autres épisodes méconnus de l’histoire.
Tout le monde sait que l’histoire de l’humanité commence par le récit biblique de l’Arche de Noé. Mais qui se souvient que quelques versets plus loin? Noé, ivre, est surpris par son fils Cham dans son plus simple appareil. A son réveil ; furieux, Noé maudit Cham en la personne de son fils, Canaan, le condamnant ainsi que sa descendance a être esclaves. Cet épisode ne serait pas aussi singulier s’il n’avait échappé au domaine théologique pour contaminer celui de l’Histoire : il servit aux Hébreux à justifier la conquête de la Palestine, aux Arabes et aux Européens à légitimer l’esclavage des Noirs, tandis que les protestants l’utilisèrent pour condamner la colonisation espagnole de l’Amérique et le papisme…
Prix Fetkann ! de la jeunesse
Danièle Bernini-Monbrand, Mangotine et la Bête à Man Ibè, K. Éditions 2011
Danièle Bernini-Montbrand nous donne avec Mangotine et la Bête à Man Ibè une version créolisée originale de Le Petit Chaperon rouge de Charles Perrault. Que nous apprend cette histoire créole, écrite en français, qui prend racine dans la touffeur tropicale ? Qu’ici point de Loup, ni de Chaperon Rouge, mais une grande forêt mystérieuse, peuplée d’êtres imaginaires, extraordinaires ; et comme partout et toujours, des enfants qui désobéissent et prennent des risques à vouloir sortir des sentiers battus. Heureusement qu’il existe des êtres humbles et raisonnables pour les ramener dans le droit chemin.
Prix Fetkann ! de la poésie :
Yvonne Gombaud-Saintonge, Fleurs du Gaïac, Poètes guadeloupéens du XXe siècle – Éditions Jasor 2011
Mention speciale du jury, dans la catégorie Mémoire
CM 98, Non an Nou, Éditions Jasor / CM98 2010
Avant 1848, la très grande majorité des Guadeloupéens n’avaient pas de noms de famille. Un prénom, un surnom et un matricule (à partir de 1839) étaient leur seule identité. Difficile dans ces conditions de fonder un famille, une lignée … Ce « privilège » fut pendant 213 ans, celui d’une petite minorité de « Blancs » et d’ « hommes de couleur » libres. Seuls ces derniers étaient inscrits sur les registres d’état civil, dans les catégories, naissances, mariages et décès. Eux seuls avaient le statut d’Homme.
En l’an 1848, année de l’abolition, des officiers d’état civil, parfois anciens maitres, mandatés par la commission dirigée par Victor Schœlcher, nommèrent les quelques 80 000 « sans-noms » de la Guadeloupe. Ce sont ces patronymes que la plupart d’entre nous portent aujourd’hui. Ce sont nos noms de famille. Durant trois ans, des dizaines de Guadeloupéens et Martiniquais, de tous âges, ont passé leurs journées et leurs nuits à photocopier et à recopier les « registres des nouveaux libres » sur lesquels avaient été notés les prénoms et matricules d’hommes, de femmes et d’enfants nommés en 1848. Ces militants de la mémoire et l’identité, membre du CM98, ont été à la rencontre de dizaines de milliers d’aïeux dont nous n’avions pas la trace de vie. A la loupe ils ont déchiffré les lettres des prénoms et les chiffres des matricules de ceux qui étaient nés « marchandises ». Ils ont rencontré des dizaines de Misérine, de Souffrance, de Solitude, de Sétout, de Assé… Ils ont rencontré, nos parents, vos parents !
Parce qu’ils ne méritaient pas l’oubli, parce que la meilleure sépulture des disparus est le cœur de leurs descendants, voici les prénoms et matricules de vos aïeux, de ceux que nous avons pu retrouver.
Voici donc Non an Nou Le livre des noms de familles guadeloupéennes qui ranime le souvenir de ceux dont l’oubli était le destin.