Dans Carnets de Femmes (éditions L’Harmattan), l’auteure haïtienne Barbara Bastien nous confie et narre des faits réels de la vie de femmes qui évoluent dans son environnement avec une temporalité dans laquelle elle-même évolue. Elle les observe puis elle les dessine et enfin met le lecteur dans la confidence dans un ouvrage qui paraît bien justement en ce mois de mars marqué par la Journée internationale des droits des femmes.
Dans le carnet qu’elle partage sont consignées les histoires de « la vie de femmes dont le quotidien est fait de haines et d’amour, de pleurs et de joie ». Des vies de « femmes vraies, de cette Haïti du 21e siècle » et dont la narration faite par Barbara Bastien vise à éclairer le rôle de la femme dans une société qui de fait se décrit en partie à travers les portraits de Nana, Véra, Gaëlle ou encore Coralie.
Née à Port-au-Prince, en Haïti, Barbara Bastien est la fille d’un médecin et d’une infirmière. Elle évolue professionnellement dans le milieu médical tout en se consacrant à l’écriture. Après « une enfance paradoxalement tranquille dans une capitale souvent déchirée par les troubles politiques », des études à l’Université Notre-Dame d’Haïti, la jeune auteure, dont la bibliographie compte notamment le roman La Malédiction des Beaufort (2002) et Un jour de janvier (constitué de récits personnels sur le tremblement de terre de 2010), poursuit son cheminement dans l’écriture. Carnets de Femmes, le plus récent de ses ouvrages, est selon elle « un recueil de confidences sur l’intimité des femmes modernes ». Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, elle dit la réalité des femmes dont elle connaît les aspirations et le tempérament ainsi que l’influence qu’elles peuvent avoir sur la collectivité.
e-Karbé – Carnets de femmes n’est pas votre premier livre, vous avez notamment publié plusieurs romans. Pourquoi avoir opté cette fois pour le genre du récit ? Quelle est votre intention d’auteur dans ce choix ?
Barbara Bastien – Avant Carnets de Femmes, effectivement, j’avais écrit au sujet de l’histoire d’Haïti, au sujet de la drogue et de la difficulté qu’il y avait à s’en sortir, mais j’ai voulu écrire ce livre juste pour traduire certaines réalités pénibles que j’ai eu bien souvent à entendre. Certes, la vie peut être difficile pour tout individu, peu importe son sexe, mais j’avais voulu aborder un sujet qui me touchait moi-même en tant que femme. La pression sociale que vivent les femmes d’un certain âge lorsqu’elles ne sont pas encore mariées, le vécu d’une femme trompée dans une société machiste, l’angoisse des filles-mères. Je voulais décrire des scènes réelles, à caractère intimiste, de ces confessions que nous autres femmes nous nous faisons autour d’un verre de limonade ou d’une tasse de café.
Quel est le propos intrinsèque de ce récit qui repose sur les vécus de femmes ? Quelle(s) réflexion(s) globale(s) doit-il faire naître chez tous ceux qui prêtent attention à la place de la femme dans la société haïtienne et, plus largement, caribéenne ?
À travers les différents personnages, on se rend compte que la femme occupe une place prépondérante. Elle est la pierre angulaire du foyer, quand bien même elle s’insurgerait contre cet état de fait. Même la moderne Gaëlle, un cadre à succès, portant tailleur et chemisier en soie, se retrouve à un moment de la durée en face de certaines tâches domestiques qui l’horripilent. Ce livre campe différents portraits de femmes qui sont animées du même désir ou satisfaites d’avoir atteint ce but : un foyer équilibré.
La société haïtienne, dans le cadre légal, favorise beaucoup les femmes, cependant les traditions patriarcales peinent à disparaître. La femme de condition modeste en général est le moteur de son foyer : le travail journalier (lorsqu’elle n’en a pas un, elle travaille à son propre compte dans le secteur vente et services, le plus souvent informel). En plus du travail, elle s’assure de l’entretien de la maison, de l’éducation des enfants. À travers la dernière enquête nationale (EMMUS V), on a réalisé que dans les foyers de condition modeste, les femmes gardaient leurs activités économiques plus longtemps que les hommes. La réalité de la classe moyenne est différente. Car pour être éduqués, les deux peuvent travailler, mais encore une fois, l’enquête montre que les hommes ayant un niveau secondaire ou plus qui travaillent comme cadres sont 26% contre 19% du côté des femmes. A noter que la répartition de la population est de 94 hommes pour 100 femmes.
Bien souvent des dialogues de femmes ont été abordés par différents auteurs et scénaristes. Nous avons eu déjà droit à des séries à succès : Sex and the City, Desperate Housewives et j’en passe. Ce livre ne voulait pas prétendre apprendre quelque chose de nouveau aux gens, seulement leur montrer le quotidien des femmes haïtiennes, de la classe moyenne contemporaine. Prises entre l’enclume et le marteau, à mi-chemin entre deux-mondes : le traditionnel et le moderne. Les professionnelles de la classe moyenne, bousculées par leur rythme de vie qui essaient d’être en même temps présentes pour leurs enfants comme leurs mères (le plus souvent des femmes au foyer) l’avaient été pour elles. Déjà en butte à des difficultés externes et bien souvent, malheureusement, leur partenaire, perdu dans un autre monde où seul son désir est prépondérant, ne suit pas la tendance pour être toujours là pour elles.
Les femmes dont les sociétés se rapprochent du mode de vie occidental, peu importe leur nationalité, leur race, semblent être en proie aux mêmes difficultés. Dans des sociétés centrées sur le bien-être des hommes, elles doivent être les garantes de la pérennité de l’espèce, guidées par l’amour, tout en gardant leur équilibre, leur joie de vivre et c’est à titre de rappel, que sans prétention, j’ai voulu dresser ces quelques portraits.
Dans Carnets de femmes, vous nous intéressez aux « femmes vraies, de cette Haïti du 21e siècle ». Si vous deviez dresser en quelques lignes le portrait de cette femme avec les singularités qui la caractérisent le mieux selon vous, que diriez-vous ?
Tout d’abord, je dirais que c’est une femme qui est difficile à cerner. Elle se caractérise en tout premier lieu par sa force. C’est une femme qui a beaucoup de ressources et d’imagination. En général, évoluant dans un milieu où le taux de chômage est élevé, elle développe des trésors d’imagination pour générer des fonds pour le foyer : détaillante de produits divers, vendeuse de plats cuisinés sous des bâches. Certaines, n’ayons pas peur de le dire, ont plus de ressort pour rebondir lorsqu’elles sont frappées par les difficultés de la vie.
D’un autre point de vue, elle se réclame des temps modernes, pourtant elle a des gestes de tous les jours qui montrent son attachement aux anciennes valeurs. L’homme, le chef de famille, passera le plus souvent de façon prioritaire. Les garçons auront des prérogatives qui seront refusées aux jeunes filles, etc.
La femme haïtienne n’a aucun problème pour se vêtir de défroques, de ne pas manger à sa faim, pour assurer le primum vivere de sa progéniture. Et pour l’éducation, elle n’en dérogera pas. Elle sera prête à tous les sacrifices permis par son code de vie pour financer les études de ces enfants. C’est toujours tout pour les enfants.
Outre le fait de donner aux lecteurs lambda l’occasion de découvrir les femmes dans leur vie de tous les jours en Haïti, espérez-vous une lecture particulière de la part des lectrices qui vivent elles-mêmes ce quotidien en Haïti ?
Tout simplement la possibilité de s’identifier aux personnages du livre. De rire avec elles du ridicule de certaines situations. De soupirer aussi lorsqu’elles se représenteront les moments difficiles qu’elles aussi, elles auraient pu traverser.
Que vous a apporté l’écriture de ce récit ?
Un certain recul face à certaines situations qui me faisaient rager à une époque. Pouvoir se détacher, pour analyser et écrire… Parce qu’il faut être calme pour analyser et mieux s’exprimer. Pour faire comprendre aux autres, ce que l’on pense. Je connaissais déjà mon pays, avec les gens qui l’habitent avec leurs qualités, leurs richesses et leurs points faibles. Qui n’en a pas d’ailleurs ! Cela m’a juste permis d’être plus à même de décrire des faits du quotidien. La vie de Madame Tout Le Monde, la vie de Mr Tout Le Monde…
Quelle est la prochaine étape de votre itinéraire d’auteur ? Un prochain roman ?
La prochaine étape… Ce serait tout d’abord de mesurer l’impact du livre, d’en discuter avec certains… Ecouter ce qu’ils ont à dire. On a beau se dire que nous écrivons avant tout pour nous faire plaisir, que nous écrivons au gré de notre inspiration. Oui, c’est vrai, mais dans mon expérience personnelle, outre le fait d’avoir un esprit très indépendant, il m’a été profitable de parler à des lecteurs avertis. Ils ont parfois des détails qui les frappent, des détails auxquels l’auteur ne prête même pas attention.
Mais honnêtement, une fois qu’on a mis le point final au livre, après la pénible séance de relecture, on pense déjà au prochain roman… Espérant qu’il ira dans la même la direction que souffle le vent de l’amour du public.