L’ouverture au public du Salon du livre de Paris, vendredi 26 mars, aura notamment été marquée par la rencontre entre Edouard Glissant et Edwy Plenel. Une rencontre/échange autour de La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents. Une anthologie de la poésie du Tout-Monde, dernière parution en date d’Édouard Glissant, qu’Edwy Plenel définit comme « un poète qui nous aide à aimer, à être résistant… »
Devant un public venu en nombre, on assiste pendant une heure à un généreux dialogue entre les deux hommes, au terme duquel pointe l’envie de s’offrir la lecture de cette anthologie ou de s’y remettre pour y retrouver les concept mis en lumière lors de la discussion.
Tout d’abord, le créateur du concept de Tout-Monde, invité à réagir sur le tremblement survenu en Haïti, nous ramène à une vision plus achevée de ce qui s’est récemment passé à Port-au-Prince, un de ces lieux du monde (comme à la Nouvelle Orléans), des lieux de créolisation, qui selon lui « sont à méditer ». « Il y a d’une manière générale dans notre horizon cette destinée qui semble payer le prix fort pour les chemins qu’ils ont tracés et Haïti en est un », a expliqué Edouard Glissant qui vit à New York, où la population haïtienne est très présente.
A travers l’expression du sentiment que lui inspire cette catastrophe, on comprend encore mieux ce qui a motivé son dernier ouvrage. Ce livre est « une anthologie du contact et de la relation. Non pas une anthologie de la définition mais véritablement une anthologie de proximité », répète Édouard Glissant. Une œuvre où l’on retrouve des poètes et écrivains comme Césaire, Balzac ou Rimbaud, mais aussi des personnalités dont on ignorait la « poétique » comme Mohamed Ali ou Freud. On aurait eu aussi du mal à déceler la « poétique prophétique » de Marx. C’est tout cela que ce livre veut révéler. Des poètes issus de tous les lieux du monde dont on ne pouvait (voulait ?) pas soupçonner le sens poétique. Tout cela qui est au cœur de la poésie mise en harmonie par Édouard Glissant ou plutôt par le hasard auquel il s’est fié et qui « presque toujours » a été fondé.
L’échange adroit et vivant entre les deux amis apporte encore des éclaircissements sur la mise en relation des cultures, par le biais des poèmes qui se rencontrent dans le livre. Au journaliste qui l’interroge sur les choix et les coupures qui peuvent intervenir lors de l’élaboration d’un tel projet, le poète nous convainc qu« un texte se coupe à l’endroit où il rencontre un autre texte… » Une réalité d’autant plus évidente que pour lui les poètes sont quasiment les seuls à avoir l’intuition des lieux du monde, « contrairement aux auteurs de fictions, le poète a besoin des autres poètes. » La mise en rythme de ces textes qui ne connaissent aucune organisation directive (ni alphabétique, ni chronologique) si ce n’est celle de la poésie, est une autre des volontés respectées par l’auteur pour qui « la fréquentation d’un livre où l’on a pas de piste est une fréquentation fantastique… C’est fréquenter le monde d’une façon beaucoup plus profonde. »
L’universalité de la poésie et des poètes communiquée à travers La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents. Une anthologie de la poésie du Tout-Monde franchit encore un cap quand Edwy Plenel revient sur l’un des textes retenus par Édouard Glissant, un texte de Charlie Chaplin sur la beauté, à côté duquel, encore une fois, on serait passé sans ce livre. Pour lui, Chaplin, « c’est le Tout-Monde dans la décomposition des gestes, c’est ce qui vient avant la parole ». C’est sur cette image d’une sommité de l’ère du cinéma muet également poète que le public a laissé partir Édouard Glissant pour une séance de dédicace.
La terre le feu l’eau et les vents. Une anthologie de la poésie du Tout-Monde
Éditions Galaade, 2010