Le Centre Pompidou accueille à Paris, jusqu’au 30 juin 2025, l’exposition Paris noir. Cet événement, qui « retrace la présence et l’influence des artistes noirs en France », passe en revue cette période historique d’exaltation culturelle et de soulèvement impulsée par les artistes caribéens et afro-américains.
Sous le titre complet de Paris noir – Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000, le Centre Pompidou présente une exposition autour de laquelle se déploie programmation cinématographique, colloque et spectacles vivants. Elle revient sur 50 ans de création et « met en lumière 150 artistes afro-descendants, de l’Afrique aux Amériques, dont les œuvres n’ont souvent jamais été montrées en France ». L’exposition, qui a ouvert ses portes le 19 mars dernier, est visible jusqu’au 30 juin 2025.
Pour Alicia Knock, commissaire de l’exposition : « l’exposition donne à voir des généalogies méconnues de l’histoire de la figuration, de l’abstraction, de l’histoire post et décoloniale, qui sous-tendent pourtant les œuvres de nombreux artistes aujourd’hui. Beaucoup d’artistes se réfèrent également aujourd’hui au corpus émanant de la période des décolonisations, se revendiquant de figures comme Senghor, Fanon, Suzanne et Aimé Cesaire ou Édouard Glissant, naturellement visibles dans l’exposition. Le projet contextualise aussi des trajectoires d’artistes qui semblent familières aujourd’hui, mais qui se pratiquent depuis des décennies, comme le retour vers l’Afrique, que l’on observe dès les années 1970 chez des artistes comme les artistes martiniquais de l’école negro-caraïbe, ayant quitté la Martinique pour Nice puis Abidjan. C’est le cas de Serge Helenon, résidant aujourd’hui à Nice. »
Une soixantaine d’artistes sont exposés pour l’occasion, parmi lesquels nombre d’artistes caribéens : Wifredo Lam, Hervé Télémaque, Guido Llinas, José Castillo, Vicente Pimentel, Michel Rovelas, Frantz Absalon ou encore Sarah Maldoror (à laquelle une rétrospective est consacrée dans le cadre de l’exposition), illustrant comme précisé par Alicia Knock : « le parti adopté dans l’exposition est celui d’une forme cartographique et historiographique, afin de mettre en avant un grand nombre de plasticiens dont la présence à Paris a favorisé la naissance d’un internationalisme noir, largement occulté dans les récits d’histoire de l’art du 20e siècle ».
Outre les plasticiens, l’exposition scénographiée autour de thématiques comme le Paris panafricain, les Surréalismes afro-atlantiques, les Solidarités révolutionnaires, les Retours vers l’Afrique, Le Tout-Monde d’Édouard Glissant, explore au fil des 15 espaces les rôles prépondérants des artistes noirs parmi lesquels les positions prééminentes de figures de la littérature caribéenne. Ainsi, dans le Paris Panafricain : « Aimé et Suzanne Césaire contribuent dans la revue Tropiques à forger une identité martiniquaise libérée des stéréotypes « doudouistes ». Les écrivains haïtiens René Depestre et Jacques Stephen Alexis définissent un réalisme merveilleux au-delà des principes de l’art « spontané » haïtien (…) Une conscience internationale noire s’y forge autour des penseurs de la négritude comme les poètes Léopold Sédar Senghor ou Léon-Gontran Damas, et d’artistes modernes ». Plus loin, le visiteur découvrira les Surréalismes afro-atlantiques où « dans les années 1940-1950 à Paris, le surréalisme s’enrichit d’un vocabulaire afro-atlantique influencé par les échanges historiques et culturels entre l’Afrique et les Amériques.
Wifredo Lam, artiste cubain, en est la figure centrale après des voyages à Cuba, en Martinique et en Haïti. Sa rencontre avec le poète Aimé Césaire influence profondément sa vision du surréalisme, qu’il transforme en outil politique et poétique ».
Paris noir – Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000
Paris noir est une plongée vibrante dans un Paris cosmopolite, lieu de résistance et de création, qui a donné naissance à une grande variété de pratiques, allant de la prise de conscience identitaire à la recherche de langages plastiques transculturels. Des abstractions internationales aux abstractions afro-atlantiques, en passant par le surréalisme et la figuration libre, cette traversée historique dévoile l’importance des artistes afro-descendants dans la redéfinition des modernismes et post-modernismes.
Quatre installations produites spécifiquement pour « Paris noir » par Valérie John, Nathalie Leroy-Fiévée, Jay Ramier et Shuck One, rythment le parcours en portant des regards contemporains sur cette mémoire. Au centre de l’exposition, une matrice circulaire reprend le motif de l’Atlantique noir, océan devenu disque, métonymie de la Caraïbe et du « Tout-Monde », selon la formule du poète martiniquais, Édouard Glissant comme métaphore de l’espace parisien. Attentive aux circulations, aux réseaux comme aux liens d’amitié, l’exposition prend la forme d’une cartographie vivante et souvent inédite de Paris.
Une cartographie artistique transnationale
Dès les années 1950, des artistes afro-américains et caribéens explorent à Paris de nouvelles formes d’abstraction (Ed Clark, Beauford Delaney, Guido Llinás), tandis que des artistes du continent esquissent les premiers modernismes panafricains (Paul Ahyi, Skunder Boghossian, Christian Lattier, Demas Nwoko). De nouveaux mouvements artistiques infusent à Paris, tels que celui du groupe Fwomaje (Martinique) ou le Vohou-vohou (Côte d’Ivoire). L’exposition fait également place aux premières mouvances post-coloniales dans les années 1990, marquées par l’affirmation de la notion de métissage en France.
Un hommage à la scène afro-descendante à Paris
Après la Seconde Guerre mondiale, Paris devient un centre intellectuel où convergent des figures comme James Baldwin, Suzanne et Aimé Césaire ou encore Léopold Sédar Senghor qui y posent les fondations d’un avenir post et décolonial. L’exposition capte l’effervescence culturelle et politique de cette période, au coeur des luttes pour l’indépendance et des droits civiques aux États-Unis, en offrant une plongée unique dans les expressions plastiques de la négritude, du panafricanisme et des mouvements transatlantiques.
Un parcours entre utopie et émancipation
Le parcours de l’exposition retrace un demi-siècle de luttes pour l’émancipation, des indépendances africaines à la chute de l’apartheid, en passant par les combats contre le racisme en France. « Paris noir » souligne la puissance esthétique et la force politique des artistes qui, à travers leurs créations, ont contesté les récits dominants et réinventé un universalisme « des différences » dans un monde post-colonial. Cette toile de fond politique sert de contexte, et parfois de contour direct, à certaines pratiques artistiques. En parallèle ou en contrepoint, se déploient dans l’exposition des expérimentations plastiques souvent solitaires, mais qui trouvent dans le parcours des communautés esthétiques.
Reconnu à la fois comme espace majeur de formation artistique classique et comme centre d’expérimentation, Paris bénéficie d’une attractivité exceptionnelle pour les créateurs, qu’ils soient de passage ou résidents. La ville fonctionne comme un carrefour de rencontres et un point de circulation – notamment vers l’Afrique – propice à l’affirmation de trajectoires transnationales.
Une programmation culturelle ambitieuse
L’exposition est accompagnée d’une riche programmation culturelle à Paris et à l’international. Des conférences, des publications et l’acquisition d’œuvres par le Musée national d’art moderne, ainsi que d’archives au sein de la Bibliothèque Kandinsky, grâce au fonds « Paris noir », contribuent à renforcer la visibilité des artistes noirs. Ces initiatives permettent également de constituer une archive durable de la culture artistique et militante anticoloniale dans une institution nationale.
Exposition – Centre Pompidou
Paris noir
Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000
19 mars – 30 juin 2025
11h – 21h, tous les lundis, mercredis, vendredis, samedis, dimanches
11h – 23h, tous les jeudis
Galerie 1, niveau 6