« Aujourd’hui à l’heure où d’autres naissent, Monsieur Sainte-Rose est mort paisiblement allongé dans son hamac. Dans le village, la nouvelle se propage grâce à devant-le-chinois ». Cet extrait pose placidement le climat du roman de Patrick Malherbe.
La mort de Monsieur Sainte-Rose sert de point de départ à l’auteur qui va entraîner le lecteur à la découverte d’une multitude de personnages dans un roman décrit comme « empreint d’une remarquable finesse. » Des personnalités illustrant, entre autres, la pluralité des peuples qui peuvent vivre ensemble dans cet environnement amazonien. Il y a donc Monsieur Sainte-Rose le vieil Haïtien dont la mort va frapper le village. Mais aussi « Lacolle, bagarreur impénitent et amoureux de littérature, Alinata le Malien aux chaussures impeccablement cirées, Kouka l’orphelin, Apunto le Saramaca mystérieux, et bien d’autres encore ».
Ce premier roman de Patrick Malherbe, sociologue, nous place au cœur d’un décor connu des Guyanais, un espace où se croisent et se mêlent les vies, les histoires et les mots. « Devant-le-chinois, c’est quelques mètres carré de bitume fatigué et quelques bornes contre lesquelles s’appuyer délimités par un vague muret. L’entrée du seul magasin du village, c’est surtout le théâtre où viennent se rencontrer tous les visages, toutes les histoires et toutes les langues de ce petit recoin d’Amazonie. Devant-le-chinois se côtoie tout un monde, souvent rugueux, parfois violent, mais toujours riche du besoin de partager un verre ou une histoire, aux sons mêlés de la brega, du reggae et du kasékò. »
Patrick Malherbe a répondu aux questions d’e-karbe et nous parle de ce premier roman.
e-karbe – Qu’est-ce qui vous a amené à écrire « Devant-le-chinois » et à faire le choix de ce titre typique ?
Patrick Malherbe – Ce titre est typique car il désigne chez tout un chacun un lieu qui est ici d’ailleurs perçu comme plus ou moins fréquentable (deal de drogue, bagarre, alcoolisme…). En Guyane, le terme de « chinois » est un synonyme d’épicerie, épicerie où l’on trouve de tout y compris chez certains commerçants en commune de quoi partir en forêt (cartouches, lignes de pêche, cape de pluie, hamac, etc.). Chacun ici connait donc le sens donné au « chinois »(à tel point que je connais, chose rare, une épicerie tenue par un vieux Créole qui est aussi désignée par ce terme !).
Devant-le-chinois est un bar-café recréé de manière spontanée par les hommes (il y a très peu de vrais bars en Guyane) où se fréquentent des individus qui viennent boire une cannette, chercher une information, parfois même, dans certains quartiers, du travail à la journée. C’est aussi un lieu qui donne à voir et entendre des scènes cocasses, où chaque petite histoire peut devenir une légende, où chaque homme humble a quelque chose qui relève de l’extraordinaire.
Je tiens cependant à insister sur le fait que mon livre est un roman et non une étude de type sociologique et que ce que je raconte relève du « pays rêvé« , pour reprendre la formule de Dany Laferrière. Ainsi, si ma formation de sociologue m’apporte un certain regard sur ce qui m’entoure (connaissance des différents peuples, de leur histoire et des problématiques très particulières qui en découlent), je ne me suis absolument pas positionné comme sociologue pour écrire ce roman, la sociologie étant une science cherchant à saisir la réalité dans toute sa complexité de manière rationnelle en tentant de mettre de côté tout sentiment ou jugement de valeur.
EK – Vous avez choisi la Guyane pour planter le décor de votre premier roman. Comment cette logique s’est-elle imposée à vous ?
P. M. – Devant-le-chinois est le reflet de la multiethnicité guyanaise, de la mosaïque culturelle de ce territoire qui enchante et surprend. C’est aussi un lieu (en commune en tous les cas) où les gens parlent de ce qui est l’âme de la Guyane, c’est-à-dire l’immense forêt et son prolongement, le fleuve, que j’ai cherché à mettre en scène comme des personnages.
EK – C’est la mort de Monsieur Sainte-Rose qui va déclencher l’intrigue dans votre livre. Pourquoi choisir un événement comme celui-là pour élaborer l’histoire. Est-ce en lien avec la Guyane où la mort est perçue de façon très différente par les nombreuses communautés qui y vivent ?
P. M. – Ce n’était pas mon intention de mettre en scène les différentes perceptions de la mort en Guyane mais plutôt de prendre comme prétexte un événement qui lie les gens. L’idée m’est venue suite au décès d’un homme que je connaissais devant-le-chinois qui n’avait ni famille ni argent et qui a été fêté devant-le-chinois par ses copains qui se sont cotisés pour participer à son enterrement.
Patrick Malherbe, Devant-le-chinois, Ibis Rouge Editions, 150 pages, 15 euros