« Damas, feu sombre », c’est le moment poétique auquel nous convieront Mylène Wagram et Pablo Contestabile ce samedi 17 mars au Salon du livre de Paris, à l’issue de la table ronde « Léon Damas trois fleuves dans les veines ». L’événement entre dans le cadre du centenaire de la naissance de Damas auquel le public a pu s’intéresser dès 2011 avec « Léon-Gontran Damas A franchi la ligne »*. Un spectacle où l’on retrouvait déjà la Mylène Wagram, dans une mise en scène de Frédérique Liebaut. Avec « Damas, feu sombre », c’est une nouvelle occasion de pénétrer la poétique de Damas que proposera celle qui a découvert le chantre de la Négritude en faisant ses classes. Quel regard Mylène Wagram porte-t-elle sur cette poésie en tant que comédienne ? C’est ce qu’elle explique dans l’interview qu’elle a accordée à e-Karbé.
e-Karbé – Comment et pourquoi avez vous choisi de prêter votre voix à la poétique de Léon-Gontran Damas ?
Mylène Wagram – Damas aborde l’existence et sa problématique. La question qu’il pose de façon récurrente c’est : comment vivre… comme Homme et comme Homme noir ? Question intemporelle qui rejoindra toujours le lecteur : qu’est-ce que vivre dans sa différence, avec ses blessures et son histoire ? Il y a chez lui « un feu » qui brûle, le rend tantôt sarcastique, tantôt tendre, parfois le consume mais jamais ne s’éteint parce qu’il s’agit de traverser « les écroulements de paysages » de nos chemins de vie d’humain.
J’ai eu la chance, en faisant mes classes de théâtre, de dire Césaire et Damas. Une démarche fréquente chez les comédiens qui veulent travailler les textes de leur patrimoine. Le premier poème fut « Hoquet ». L’écriture et le sujet du texte m’ont interpellée par leur forme et leur clarté. L’humour et le tragique du contenu traduisaient l’insatisfaction et la blessure d’un être. Il y avait une révolte et une incompréhension du monde qui me parlait. Ce fut comme un écho pour la jeune personne que j’étais, en quête de son histoire et d’elle-même.
Le spectacle « Léon-Gontran Damas A franchi la ligne », mis en scène par Frédérique Liebaut, est une traversée de ces états qu’offre la poésie de Damas.
e-Karbé – En tant que comédienne, avez-vous une vision artistique spécifique de l’œuvre de Damas ? Que peut offrir de différent la poésie de Damas sur une scène ou dans un spectacle théâtral ?
Mylène Wagram – Il est certainement audacieux de ma part de dire que chez Damas il y a l’intimité de l’existence. Son écriture est très concrète et se fait écho de l’expérience quotidienne de ce qu’est vivre. Son vocabulaire est simple et parfois même outrancier, ses images riches et profondes, son style saccadé et concis : autant d’espaces qu’offre sa poésie au jeu théâtral. Travailler les textes de Damas, c’est tenir compte de tout cela avec en plus l’élégance. Sa poésie exige l’incarnation, la musicalité et l’humour. Damas « se met debout » tous les matins et cela s’entend dans sa poésie. Une poésie dont le rythme est marqué par le bègue qu’il fut, l’enfant qui s’est tu quatre ans de sa vie, mais aussi le mélomane, fou de jazz et amoureux de la danse. Cette singularité est pour moi un atout majeur pour la scène. Damas écrit pour que l’expérience du « JE individuel » devienne le « NOUS collectif ». La radicalité du poète réside dans cette simplicité à assumer pleinement ce qui le structure et souvent le marginalise. Il dit ce qui EST pour lui, sans concession. Je pense que c’est en cela que se trouve la grandeur du poète. J’y trouve un très grand plaisir à le dire et à le travailler car cette simplicité demande beaucoup de pratique avant d’en avoir épuisé tout le sens et les nuances.
e-Karbé – Sur scène, avec « Léon Gontran Damas A franchi la ligne », vous faites se rencontrer la poésie et le théâtre. Comment ce face à face est-il accueilli par le public ?
Mylène Wagram – Portée à la scène, comme a su le percevoir Frédérique Liebaut, la position au monde du poète interroge et s’adresse à tous les hommes. Le choix du titre est celui de l’affranchissement pour le poète et celui des diverses lignes à franchir pour le public et moi-même. A commencer par celle de la différence. J’ai pu constater que ceux qui découvraient Damas en étaient heureux et surpris de ne pas avoir pu le faire plus tôt. Et puis, il y a cette chose silencieuse mais très sensible de l’écoute d’un public et de son accompagnement au fur et à mesure que les poèmes se disent. La mise en scène de Frédérique Liebaut, porte aussi cette élégance « damassienne » qui fait que jamais l’émotion ne devient pathétique ou indécente. Le spectacle est construit de telle manière que les états convoqués soient ceux du contraste et du rebond, rien n’est installé dans une même humeur, comme une chose constamment vivante et changeante. Je pense que c’est cela qui est à l’œuvre dans la rencontre avec les spectateurs. Ils sont d’abord témoins et peu à peu deviennent frères trouvant dans l’incarnation sur le plateau un morceau de leur histoire de vie, un partage.
e-Karbé – Vous serez au Salon du livre le 17 mars avec « Damas, feu sombre » (de Frédérique Liebaut), accompagnée du musicien Pablo Contestabile. Quel sera l’objet de ce spectacle ?
Mylène Wagram – Je précise que ce n’est pas un spectacle, c’est un moment poétique. Il s’agit, dans le cadre du Salon du livre, lors d’une table ronde autour de Léon-Gontran Damas, de faire entendre quelques paroles du poète. Rendre soudain sensible la voix singulière dont il aura été question pendant tous ces échanges. Et ce dans une proposition simple, celle de la rencontre entre un musicien argentin et moi-même, originaire de la Caraïbe. Ce sera un partage de mots, de musique, de chant et de langues puisqu’on y entendra le créole, l’espagnol et le français. Simplement quelques minutes de poésie. Moment essentiel cependant car je crois comme Edgar Morin que si la prose nous fait survivre, la poésie nous fait vivre. Et je pense aussi que mon travail de comédienne est de faire partager à tous ce genre de moment, instant éphémère où la parole du poète se fait écho de nos états et de nos mouvements d’être propres à nos humanités.
* : Léon-Gontran Damas A franchi la ligne
AWA Production
Mise en scène : Frédérique Liebaut
Comédienne : Mylène Wagram