Après la sortie de l’album Fann kann, c’est bientôt le clip de la chanson Zétwal an Mwen qui sera disponible. Une sortie qui vient enrichir l’actualité de l’artiste interprète guadeloupéenne Florence Naprix qui avait vu en 2012 la sortie de son premier album et qui l’a présenté au Zèbre de Belleville le 18 janvier dernier. La jeune guadeloupéenne (que vous pouvez suivre sur ses pages fan Facebook et Believe ainsi que sur son compte Twitter) répond ici aux questions d’e-Karbé et nous en dit plus sur son rapport à la musique.
Dans ce premier opus, elle chante notamment la femme sur des rythmes différents, dans ses identités plurielles et ses rôles multiples. Fann kann, c’est une rencontre avec la musique vue par Florence Naprix, c’est-à-dire une musique conçue comme un espace sur le monde. Avant de la retrouver le 29 mars prochain à la Reine Blanche à Paris, vous pouvez découvrir un premier album audacieux qui s’inspire du patrimoine antillais et laisse percevoir l’attirance de Florence pour les grandes voix du jazz.
e-Karbé – « Fann Kann ! » est votre premier album. Quels sont le parcours et les expériences musicales significatives qui ont concouru à sa réalisation ?
Florence Naprix – J’ai commencé la musique il y a de nombreuses années, en étudiant le piano et le chant choral dans un premier temps. Jusqu’en 2009, ça a été une grande passion, qui m’a amenée à partager la scène avec de nombreux acteurs de la musique antillaise. En tant que lead dans diverses formations, en tant que choriste aux côtés d’artistes de renom.
Il y a trois ans, je me suis décidée à faire de la musique mon métier à part entière. Dans cette optique, il m’a fallu « définir » la musique que j’avais envie de jouer, de défendre. Je me suis mise à écrire et composer, aidée principalement de Stéphane Castry (réalisateur de Fann Kann) et, tout naturellement, mon premier album a vu le jour.
Quelle interprétation pouvons-nous faire du titre de cet album ? À quelles femmes l’album fait-il référence et quelles chansons en parlent le mieux ?
« Fann kann » est une expression créole qui fait référence aux esclaves « marrons », ces esclaves qui s’enfuyaient des plantations de leurs maîtres en coupant à travers les champs de cannes pour conquérir leur liberté, au péril de leur vie. C’est une expression qui, à mon sens, incite à se libérer de ses peurs pour aller à la rencontre de soi-même. C’est une démarche qui a été relativement difficile pour moi, dans la mesure où le métier d’artiste ne correspond pas du tout à l’éducation que j’ai reçue.
La femme (pas seulement elle) tient un rôle central dans l’élaboration de ce projet parce que sa place, notre place, ma place dans la société actuelle est source de beaucoup de questions pour moi. Je l’imagine forte, « debout ». Mais il y a la réalité et ses déceptions… Fanm Jodi (femme d’aujourd’hui) est le titre qui lui est spécialement consacré mais au fond, elle est l’héroïne de chacun de mes morceaux.
Justement, l’album commence par cette chanson, « Fanm Jodi », au rythme plutôt jazzy, puis au fil des morceaux vous livrez des rythmes différents comme avec « Formataj » aux accents rock et « On Krey Bigin » qui ramène à la musique du patrimoine antillais. De quels musiciens vous êtes-vous entourée et quel a été leur rôle pour parvenir à ce résultat ?
« Fann Kann » est le résultat d’un travail à quatre mains. On y retrouve mes influences : zouk dit « rétro », biguine, jazz… S’y ajoutent celles de Stéphane Castry (Kassav, Keziah Jones, Angelique Kidjo, Imany…) et le résultat est un album à la fois ancré dans la culture caribéenne et ouvert sur le monde. Les musiciens qui m’ont accompagnée dans cette aventure sont nombreux et d’origines diverses. Thierry Vaton, Jérôme Castry et Olivier Jean-Alphonse m’ont chacun offert une composition. J’ai également bénéficié du talent d’Arnaud Dolmen, Tony Chasseur, Jocelyne Béroard, Jean-Philippe Fanfant, Sonny Troupé, Amen Viana, Munir Hossein pour ne citer qu’eux…
Votre album laisse imaginer des inspirations musicales multiples. Quelles ont été vos principales influences et pour quelles raisons ?
Florence Naprix – J’ai découvert la force de la musique en écoutant les chanteuses de jazz Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. Ce sont elles qui m’ont donné envie de chanter. Sans comprendre un mot des morceaux qu’elles interprétaient, j’étais transportée par ce que j’entendais. Je crois que c’est aussi de leurs albums que m’est venu le goût du live.
Quand il a été question de choisir ma propre voie, il m’a semblé évident que je devais travailler autour de la musique de chez moi, la Guadeloupe. Et j’ai voulu, sans prétention, apporter quelque chose de différent de ce que nous entendons déjà sur les ondes, en l’ « ouvrant » notamment, à ma façon. C’est un gros risque dans le sens où je propose une musique peu « conforme » à celle que privilégient les médias, et où je suis en auto-production. Pour autant, et au vu des réactions positives du public, je crois que c’est un combat qui en vaut la peine.
Avec des titres comme « Konsyans », « Kriyé mwen » ou encore « Formataj », vous abordez des sujets de fond : l’engagement, l’amour, l’affirmation de la femme dans son identité, etc. Quel message aimeriez-vous que le public retienne principalement ?
J’ai tenu à écrire chacun des textes de ce premier album, en dehors de ceux de « On krey bigin », qui est un medley de reprises. Ce sont des textes qui touchent effectivement plusieurs sujets : l’amour, la place des femmes dans la société, les paradoxes et la beauté de la Guadeloupe, la vie, la liberté… Ce sont des sujets qui me touchent, sur lesquels je m’interroge, et que j’ai envie de partager, en espérant qu’ils touchent également ceux qui les écouteront. Qu’ils trouvent un écho dans le cœur du public. Un album est un cadeau qu’on offre sans contrepartie. Je veux dire que je ne peux pas peser sur ses effets. Je ne peux qu’espérer que les uns et les autres s’y retrouvent…
Dans votre album, vous explorez plusieurs univers musicaux, en ayant recours le plus souvent au créole. Qu’avez-vous voulu apporter de plus en utilisant cette langue plutôt qu’une autre ?
Je trouve que le créole est une langue magnifique. Pleine de force et de poésie. Il me semble également que c’est une langue encore méconnue, ou mal aimée, même pour les créolophones. La mettre en avant était pour moi une évidence, dans la mesure où son utilisation s’inscrit parfaitement dans ma démarche de valorisation de la culture créole. Beaucoup sont persuadés que chanter en français garantit une meilleure visibilité des artistes au niveau national. Ils ont peut-être raison. Pour ma part, je ne crois pas que la langue soit un frein à la diffusion de l’art. Des artistes comme Kassav’, Rokia Traoré ou Souad Massi le prouvent chaque jour.
Vous préparez un concert pour le 29 mars 2013 au théâtre de la Reine Blanche à Paris. Comment s’annonce ce prochain rendez-vous avec votre public et quels sont les autres passages sur scène en prévision ?
J’ai hâte d’être à ce rendez-vous. Ce sont les moments que je préfère. Des moments de partage, de rencontres, de plaisir… Il y a toujours des challenges à relever, de la diversité ou de la nouveauté à apporter, sans pour autant s’éparpiller. Le live est un travail qui me plait énormément. J’ai eu l’occasion de jouer au théâtre de la Reine Blanche il y a quelques mois et je suis contente d’avoir la possibilité d’y revenir, avec l’album en main, cette fois-ci.
Mars s’annonce plutôt bien. Avant le 29, j’aurai la joie de faire l’ouverture du festival Femmes en Arts, à Charleville-Mézières, le 8 mars prochain. Je retrouverai également la scène de l’Improviste pour le Showgirl’s des Nanas le 20. Je suis aussi en train de travailler à des scènes en Guadeloupe et en Martinique. Je serai ravie de vous en parler le moment venu.