À la fois auteur et compositeur, Bernard Ascal interprète les poèmes des plus grands auteurs. Parmi les nombreux événements programmés dans le cadre du Printemps des poètes, il propose plusieurs rendez-vous avec la poésie de Césaire, dont celui fixé en Haute-Loire, à Le Mazet Saint-Voy, pour le spectacle « Continent Césaire – Cahier d’un retour au pays natal ». À cette occasion, il a bien voulu accorder une interview à e-Karbé.
Depuis le récital Fleuve-Atlantique, les poèmes chantés de Bernard Ascal harmonisent régulièrement la rencontre entre la musique et des textes des figures du mouvement de la Négritude. Une expression poétique qui inspire d’emblée Bernard Ascal, déjà interprète des œuvres de poètes surréalistes. En 2008 sortait ainsi le double CD-audio d’un Cahier d’un retour au pays natal, un enregistrement qui précède celui des Poètes de la Négritude, sorti en 2010 et primé la même année par l’Académie Charles Cros. La mise en musique d’œuvres littéraires, que Bernard Ascal propose à travers diverses productions depuis plusieurs années, contribue à retenir l’attention des lecteurs et à nourrir leur imaginaire, un moyen de mettre la poésie à la portée de toutes les oreilles comme ce sera le cas lors du quinzième Printemps des poètes.
e-Karbé – Dans le cadre du Printemps des poètes, vous allez participer à une journée d’hommage à Aimé Césaire le 30 mars avec le récital « Continent Césaire ». Hommage durant lequel vous reprendrez ses textes et ceux de ses deux compagnons de route que sont Damas et Senghor. Mais vous évoquerez également la poésie des auteurs sénégalais et ivoirien David Diop et Bernard Zadi Zaourou. Pouvez-vous nous dire ce qui rapproche les textes de Césaire à ceux de ces auteurs ?
Bernard Ascal – Dans l’ensemble de mes projets liés à Aimé Césaire ou aux poètes de la Négritude, j’ai toujours fait apparaître certains de leurs prédécesseurs — René Maran, Langston Hugues…— et de leurs successeurs — Édouard Joseph Maunick, Bernard Zadi Zaourou. Il m’importe aussi de porter les voix de poètes beaucoup plus jeunes qui reconnaissent leur filiation à la Négritude telles Tanella Boni et Véronique Tadjo.
Concernant David Diop, son beau-frère n’était autre qu’Alioune Diop, le créateur de la maison d’édition Présence Africaine et David, qui a vécu à Paris chez Alioune Diop, a fréquenté les pères fondateurs de ce mouvement, Césaire, Damas, Senghor entre autres. Sa poésie est fortement imprégnée de ses thèmes.
Cet événement sera aussi l’occasion d’évoquer « la genèse et les spécificités du mouvement de la Négritude ». Qu’est-ce qui, pour vous, fait la force de mouvement du point de vue littéraire ?
À mon sens, la poésie de la Négritude réussit l’osmose rare de deux exigences : la poétique et la politique. Elle s’adresse tout autant à l’individu qu’au collectif. C’est une alchimie difficile à réaliser. Perdant une part de son exigence poétique, le texte peut glisser vers le mot d’ordre, le tract. À l’inverse, perdant ses capacités de résistance, de lutte individuelle et collective contre les formes si diversifiées des oppressions, le poème s’expose à une possible gratuité.
Comment en êtes-vous venu à mettre en musique « Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire » ?
J’ai découvert les poètes de la Négritude en 1967, grâce à l’ouvrage Anthologie Négro-Africaine de Lilyan Kesteloot. Parmi eux Aimé Césaire et son « Cahier » que je relis régulièrement au fil des années — une œuvre enracinée dans la douloureuse histoire des peuples noirs mais qui dépasse les couleurs de peau, les frontières pour s’adresser à l’humain. C’est une œuvre de partage.
En 2000, j’ai mis en musique et créé sur scène l’ extrait « Ceux qui n’ont inventé ». L’accueil du public, particulièrement chaleureux, m’a conforté dans mon désir d’aborder l’intégralité de l’œuvre. J’ai donc exposé mon projet à Aimé Césaire qui m’a témoigné sa confiance et donné son accord. J’ai présenté à Paris, en 2003, une première version chantée du « Cahier ». Ensuite est venu le temps de l’enregistrement, un temps beaucoup trop long puisque, hélas, Aimé Césaire décédait le 17 avril 2008 et que je devais lui remettre le CD quelques semaines plus tard pour son 95e anniversaire.
Pourquoi cette œuvre poétique de Césaire spécifiquement ? Par ailleurs, le choix de l’oratorio s’est-il d’emblée imposé ?
Ce n’est pas un choix spécifique puisque j’ai mis en musique et enregistré bien d’autres poèmes d’Aimé Césaire cependant Cahier d’un retour au pays natal est une œuvre envoûtante. Elle est une véritable exception dans la littérature d’expression française du XXe siècle — tout à la fois fresque et journal intime. Comment résister à son appel et, dès lors se pose une autre question : comment prétendre travailler à partir de ce texte sans en être constamment impressionné, comment l’apprivoiser ? Pour ma part, c’est en apprenant par cœur le poème dans son intégralité qu’une étroite familiarité s’est peu à peu instituée et c’est à partir de cette connivence que j’ai pu l’aborder musicalement.
Le choix de la forme oratorio s’est imposé très vite et l’usage de ce terme pour qualifier le résultat de mon travail a été décidé avec Aimé Césaire.
Vous êtes à la fois poète, compositeur et interprète. Comment naissent les projets de mise en musique des auteurs que vous choisissez ? Pourquoi mettre en musique les textes de Depestre, Césaire, Damas, etc. Ces textes présentent-ils, par exemple, des caractéristiques qui invitent à la mise en musique ?
Je ne suis pas un comédien aussi ne suis-je pas capable d’interpréter sur scène ou d’enregistrer des textes éloignés de mes propres préoccupations. Il en va de même pour les mises en musique. Ayant beaucoup composé sur les formes très libres des poètes surréalistes, je ne recherche pas particulièrement les écritures qui facilitent la mise en musique.
Avez-vous d’autres projets ou d’autres idées de création en lien avec les poètes issus de la Caraïbe ?
Concernant Césaire et Damas, de nombreuses partitions sont déjà prêtes. Reste à leur donner vie d’une manière ou d’une autre. J’aimerais aussi réaliser une anthologie sonore de la poésie caribéenne dont la diversité et la qualité sont enthousiasmantes mais, travaillant avec des moyens très artisanaux, je ne suis pas toujours en mesure de concrétiser mes projets.