Vient de paraître aux Éditions du Cygne un ouvrage d’Elvire Maurouard, Des femmes dans l’émancipation des peuples noirs, consacré à l’influence et l’apport des femmes dans la libération des peuples noirs. Une grille de lecture supplémentaire de l’histoire pour « restituer à ces femmes la place qui leur revient dans le panthéon des héroïnes universelles« , annonce l’auteure.
Ce n’est pas le premier ouvrage dans lequel Elvire Maurouard explore l’histoire et principalement celle de son pays natal Haïti, comme ont pu le découvrir les lecteurs dans Le Testament de l’Ile de la Tortue. Mais avec Des femmes dans l’émancipation des peuples noirs, il ne s’agit plus de roman : elle regarde et éclaire sous un angle différent l’histoire de l’indépendance haïtienne. À travers cette nouvelle parution, Elvire Maurouard, aujourd’hui recteur de l’université Soundiata en République de Guinée et par ailleurs auteure de théâtre, continue à soulever les questionnements en rapport avec l’histoire d’Haïti et celle de la femme en tant qu’actrice essentielle du changement.
Lauréate du Prix de la Société des poètes français en 2010 pour le recueil Coquillages africains en terre d’Europe, l’auteure a fait un travail de recherche à partir de récits de vies qui sont, notamment, associés à l’histoire des Caraïbes. Une investigation dont elle nous parle ici.
e-Karbé – Quelle est la principale figure dont il est question dans votre dernier livre et quelles vertus symbolise-t-elle ?
Elvire Maurouard – La vie est attention car nous sommes plusieurs. On ne gagne jamais une guerre seul. Aucune victoire n’est le fait d’une seule femme, d’un seul homme. Aussi ai-je fait mention des Résistantes haïtiennes. Ces haïtiennes (d’Ayiti du nom indien de l’île) ont fait la guerre parce que les valeurs fondamentales étaient flouées. Revenons sur quelques causes de la guerre :
– Si les malfaiteurs sont supportés ou favorisés.
– Quand il est question de récupérer ce qui nous appartient.
– Afin de repousser les ennemis.
– Quand l’ennemi s’élève et ferme le passage.
– Contre celui qui favorise l’ennemi.
– Afin que les amis et alliés soient délivrés.
Parce qu’elles ont survécu à l’esclavage dans des conditions atroces, ces guerrières se sont dit comme Annibal : « Mon épée tient lieu de traité et de justice« .
Pour vous, quelles évidences justifiaient le travail qui a permis la parution de votre livre ?
Toute personne intéressée par ces questions connaît Toussaint Louverture, a entendu parler de Dessalines et des héros de la guerre de l’indépendance haïtienne. Mais les Résistantes haïtiennes n’invoquent rien pour le non-spécialiste. Il est temps d’imposer la singularité de la femme, la guerrière, d’ériger symboliquement le musée des héroïnes, à l’instar du Musée des grands hommes. L’histoire est donc à tout moment passé présent et futur et tous les trois sont toujours reliés au centre que j’appelle la figure fondamentale de l’événement historique.
Votre ouvrage veut « restituer à ces femmes la place qui leur revient dans le panthéon des héroïnes universelles ». Quelle approche faites-vous de l’histoire dans le livre ? Et quelles sources (archives, littéraires, etc.) avez-vous prises en compte pour aboutir ?
Des femmes dans l’émancipation des peuples noirs recoupe l’histoire haïtienne, celle du Dahomey, et, bien évidemment, celle de l’Amazone dans le temps. Hérodote fut le premier historien à faire référence aux Amazones. L’Amazone est une sorte d’entité, le type de l’énergie et de la vaillance dans la grâce. Aux heures néfastes, quand tout semble désespéré, les cœurs de femmes sont des foyers de résistance où brille l’inextinguible, l’étincelle de foi et où tout se réchauffe pour un suprême effort. A travers tous les âges il y a eu et il y aura des Amazones comme il y a des soldats intrépides. Les reines d’orient, les nomades guerrières de Sarmatie, la farouche Spartiate, l’Athénienne, la Bohémienne du VIIIe siècle, la châtelaine du Moyen âge, l’Italienne de la renaissance, les Amazones de l’Amérique du Sud, la femme forte ou martyre de la Révolution française, la Dahoméenne forment la chaîne glorieuse d’une tradition universelle.
La lecture de l’ouvrage de Pierre Bertrand Bouche, La Côte des esclaves et le Dahomey et des documents du dépôt de la Marine, Histoire de Saint-Domingue, fut décisive.
Outre les faits historiques, proposez-vous des pistes de réflexions, des analyses sur le sujet ?
La femme aussi se révèle quand elle se heurte à sa propre grandeur, à l’occasion de quelque désir impossible qui lui est essentiel, ou lorsqu’elle est menacée de perdre pied dans une situation sans issue dans laquelle elle refuse de nier les exigences de son intégrité humaine.
Les amazones existent en tant que mythe, il importe de les personnifier à présent. Que reste-t-il du patrimoine des Amazones du Dahomey ? Qu’en est-il des femmes soldats sur les champs de bataille en Afrique aujourd’hui, au 21e siècle ?
En définitive, que retirez-vous de cette nouvelle expérience d’écriture qui convie au dialogue avec le passé ?
Le dialogue avec l’Afrique est aussi union affective. Il nous aide à penser cette expérience si difficile, celle de la relation entre les consciences. Le sens du passé est désormais marqué par l’expérience d’une communauté d’individus qui contribue et qui répond à l’Histoire. Celle-ci est faite par tous et tous participent à son évocation. C’est un élément essentiel qui lie l’individu à un espace politique et physique et lui permet d’exprimer un sentiment d’appartenance.