Dans le cadre de journées d’études, le groupe de recherche « Mondes caraïbes et transatlantiques en mouvement » organise un séminaire ouvert à tous qui, sous l’intitulé ‘Varia’ autour des sociétés à fondement esclavagiste et colonial, mutualisera les travaux et les recherches des participants sur ce thème.
Le 28 mai 2015 se tiendra à Sciences Po Bordeaux un séminaire dont le programme planifie sept interventions placées sous le thème : ‘Varia’ autour des sociétés à fondement esclavagiste et colonial. Ce séminaire s’inscrit dans le cadre de journées d’études d’un groupe de recherche qui travaille sur le thème des « Mondes caraïbes et transatlantiques en mouvement ».
À l’origine du groupe, on trouve la Fondation Maison des Sciences de l’Homme et Les Afriques dans le Monde. Il se donne pour « objectif majeur… de considérer la Caraïbe comme un paradigme pour interroger les espaces de production et de circulation de savoirs informés par la condition historique de l’esclavage et du colonialisme et pour décrypter les formes sociales qui médiatisent un rapport au monde dans les contextes ‘post’ de ces expériences fondatrices, dans ou hors de la Caraïbe ». Parmi les thèmes retenus pour les interventions : « Patrick Chamoiseau, écrivain baroque et postcolonial ; Animalisation en contexte colonial : le faux débat de la modernité, de l’humain et du non-humain ; Du silence de l’exil à la mémoire des expériences migratoires – Histoires orales alternatives entre Haïti et la Guadeloupe ; Trois régimes mémoriels de l’esclavage dans la France contemporaine ».
Résumés de quelques interventions…
Dominique Chancé : Patrick Chamoiseau, écrivain baroque et postcolonial
Le livre Patrick Chamoiseau, écrivain baroque et postcolonial est la suite d’une réflexion que j’ai entreprise depuis Poétique baroque de la Caraïbe (Les Fils de Lear, Écritures du chaos) et une synthèse sur l’œuvre de Chamoiseau, autour de la question de l’auteur en situation postcoloniale. Les auteurs antillais, Édouard Glissant ou Patrick Chamoiseau, ont été longtemps en quête d’une symbolisation dans un monde social, politique marqué par la déficience du symbolique. Cependant, cette symbolisation ne s’est pas effectuée du fait de la permanence, aux Antilles françaises, d’une situation d’assimilation et de malaise. C’est pourquoi j’ai fait l’hypothèse que l’imaginaire avait pris la place du symbolique, la poétique devenant la solution de l’impasse politique. Le baroque, le réel merveilleux de la créolisation, le rhizome proliférant sont les formes de cet imaginaire amoral. Pourtant, ces auteurs n’ont cessé d’affirmer leur engagement, et une forme de militantisme a perduré dans leur œuvre et leurs discours. Patrick Chamoiseau ne passe pas d’une position à l’autre, son œuvre manifeste, au contraire, le maintien de plusieurs postulats sur plusieurs niveaux, plutôt que le passage de véritables seuils. C’est en quoi il est baroque ET postcolonial. J’aimerais aborder la question plus particulière de la mémoire dans Biblique des derniers gestes, afin de montrer que, cependant, des actes de symbolisation sont envisagés, entre « mélancolie » et « apaisement ». Un dimanche au cachot est le prolongement de cette réflexion, de même, sans doute, que l’action de l’écrivain à Saint-Pierre qui noue l’imaginaire et la poétique à la politique et aux institutions.
Christine Chivallon : Animalisation en contexte colonial : le faux débat de la modernité, de l’humain et du non-humain
Cette communication s’appuiera sur la description d’une scène de violence à la Martinique, en 1870, scène ayant pris place lors d’une révolte anticoloniale et se traduisant par le massacre collectif d’un planteur blanc par les ouvriers agricoles et les petits propriétaires noirs, la plupart descendants d’esclaves. Les archives du procès qui a suivi cette insurrection comme les témoignages transmis au sein des familles des insurgés permettent d’accéder aux significations de ce moment de démesure à travers le schème de l’humain et du non- humain. L’acte transgressif ultime qui consiste à tuer le maître ne devient en effet possible qu’à travers la transformation préalable du planteur en animal (en « cochon »). Cette animalisation de l’autre pour en légitimer le crime indique cependant un sens différent de celui des processus bien connus de la bestialisation de l’ennemi dans les actes de violences guerrières. Ici, il s’agit d’une inversion des assignations telles qu’elles sont attribuées dans l’ordinaire de l’ordre esclavagiste et post-esclavagiste où le Noir est associé à la figure animale. Du même coup, ce moment de violence montre l’importance centrale de l’articulation entre les mondes humains et non humains dans la modernité occidentale tout en permettant d’entrer dans le débat sur la prétendue fixité de la frontière « nature/culture » à laquelle auraient crû sans modération les « Modernes » et dont la porosité offre au contraire une extrême variabilité soumise à l’exercice des pouvoirs coercitifs.
Dimitri Béchacq : Du silence de l’exil à la mémoire des expériences migratoires. Histoires orales alternatives entre Haïti et la Guadeloupe
Il s’agira de présenter le programme de recherche « Histoires orales alternatives dans la Caraïbe (XIXe-XXe siècles) » à travers les premiers résultats d’une recherche menée dans le cadre de ce programme. Le principal objectif de ce dernier est de saisir les connaissances historiques des sujets, par l’analyse d’histoires orales qualifiées d’alternatives car édifiées en contrepoint des dispositifs autorisés et témoignant de la construction de figures de référence et de la perception de moments de rupture, dont la singularité passée nourrit la lecture de situations contemporaines. Une première mission conduite en mars 2015 en Guadeloupe, auprès de migrants haïtiens et de descendants de migrants, avait pour ambition de saisir, à travers le recueil de récits de vie, les modes de transmission d’une mémoire de l’exil et de la migration ainsi que le rôle de figures marquantes. À travers ces récits, se déploient des trajectoires où s’entremêlent diverses formes de violences et d’opportunités, dominées par cette volonté de « chercher la vie » par-delà le déracinement. Quand la pudeur, le silence et l’oubli semblent être le legs d’une génération à l’autre, quand l’indicible émerge au cœur d’histoires orales, comment se perpétue le souvenir, comment se transmet la mémoire des expériences migratoires ? Seront ainsi proposées à la réflexion la dimension éthique et réflexive quant au recueil et au traitement de récits de vie, ainsi que les premiers enseignements sur la migration haïtienne en Guadeloupe saisie à travers la geste et les paroles de ses acteurs.
Johann Michel : Trois régimes mémoriels de l’esclavage dans la France contemporaine
En considérant la mémoire comme catégorie de politique publique, il s’agira de distinguer trois catégories de régimes mémoriels de l’esclavage depuis l’après-guerre en France, les conditions historiques de leur production et de leur autonomisation. D’une part, le régime mémoriel abolitionniste tend à commémorer la République et les métropolitains blancs qui ont oeuvré à l’émancipation des esclaves en 1848. D’autre part, le régime mémoriel anticolonialiste, qui prend son essor dans les mouvements nationalistes des DOM au cours des années 1960-1970, célèbre les luttes anti-esclavagistes et les héros de couleurs qui ont contribué à la libération des esclaves. Enfin, le régime victimo-mémoriel, qui se développe surtout à partir des années 1990, rend hommage aux souffrances des esclaves et s’inquiète de l’aliénation des sociétés post-esclavagistes.
Programme du séminaire ouvert à tous du 28 mai
Séance 1 animée par Jean-Pierre Dozon
10 h 30 – 11 h 15 : Matthieu Renault, Université Paris 13/Sorbonne Paris Cité, « L’Amérique de John Locke : L’expansion coloniale de la philosophie européenne »
11 h 15 – 12 h : Didier Nativel, CNRS, LAM, Sciences Po Bordeaux, « Sensorialités citadines et poids de l’histoire dans l’Océan Indien occidental (XIX-XXIe) »
12 h 15 – 13 h : Elisabeth Cunin, « Administrer les étrangers au Mexique »
Séance 2 animée par Johann Michel
14 h 15 – 15 h : Dominique Chancé, Université Bordeaux Montaigne, LAM, Sciences Po Bordeaux, « Patrick Chamoiseau, écrivain baroque et postcolonial ».
15 h – 15 h 45 : Dimitri Béchacq, CNRS, CRPLC, Martinique, « Du silence de l’exil à la mémoire des expériences migratoires. Histoires orales alternatives entre Haïti et la Guadeloupe ».
Séance 3 animée par Didier Nativel
16 h 15 – 17 h : Christine Chivallon, CNRS, LAM, « Animalisation en contexte colonial : le faux débat de la modernité, de l’humain et du non-humain ».
17 h – 17 h 45 : Johann Michel, Université de Poitiers, « Trois régimes mémoriels de l’esclavage dans la France contemporaine »
17 h 45 – 18 h 15 : Jalons pour la journée de travail du 29 mai
Chaque communication dure 30 minutes suivies de 15 minutes de débat
Pour tout contact : Christine Chivallon – c.chivallon@sciencespobordeaux.fr
Didier Nativel – n.nativel@sciencespobordeaux.fr