Le dernier roman en date de Lyonel Trouillot, Antoine des Gommiers, a paru au début du mois de janvier dernier, chez Actes Sud. Sans surprise, et heureusement, on y retrouve toute la puissance d’un écrit en phase avec la réalité culturelle haïtienne. Un roman qui colle également avec la réalité sociale et politique du pays.
Avec Antoine des Gommiers, du nom d’un personnage ayant réellement vécu, Lyonel Trouillot propose aux lecteurs de pénétrer dans un univers qui oscille entre dévoilement de la réalité et évocations fantastiques.
« Faire entendre ces voix qu’on n’entend pas »
Pour les guider, l’auteur donne la parole à deux héros, Franky et Ti Tony, des personnages « issus du peuple ». Ses intentions décrites chez Laure Adler (L’heure bleue, France Inter, 21 janvier 2021) le laissent à penser. Dans un échange qui aborde non seulement le style littéraire propre à Lyonel Trouillot mais également la situation politique du pays, il est effectivement question de la richesse de la « culture populaire » haïtienne dans laquelle va puiser l’écrivain, afin de « faire entendre ces voix qu’on n’entend pas ». « La culture populaire en Haïti est la matrice de toute véritable culture. C’est par elle que le citoyen haïtien peut naître à lui-même », ajoute Lyonel Trouillot.
Antoine des Gommiers, mort un peu avant la Seconde guerre mondiale, reste un personnage bien ancré dans les mémoires et l’imaginaire contemporain en Haïti. Par son intermédiaire, à travers la parole donnée à des personnages prégnants par l’écrivain et grâce aux émotions qu’il sait intercepter, tout un monde est conté et proposé à la curiosité du lecteur.
Avec ce nouveau roman, Lyonel Trouillot continue d’incarner Haïti : « cette culture populaire est l’élément vivant, le lieu de vitalité de la production d’une pensée haïtienne, d’une haïtianité et donc je la visite souvent », confiait-il encore à Laure Adler.
Antoine des Gommiers, Lyonel Trouillot
De ces deux frères, Franky et Ti Tony, l’un est attaché aux mots et aux figures de style quand l’autre, pragmatique, se fie à la magouille pour les faire vivre dans ce corridor des quartiers pauvres et souvent violents de Port-au-Prince. Et le fait que leur mère leur dise depuis toujours qu’ils sont les descendants d’Antoine des Gommiers, ce devin magnifié par des générations d’Haïtiens, n’adoucit pas leur misère mais pourrait peut-être en modifier les contours et les lointains. Car c’est de cela qu’il s’agit, de cette parentèle qui ne change rien pour l’un et tout pour l’autre ; de la vie de ces deux garçons, de l’amour qu’ils portent à leur mère, de leur regard sur ses vœux et ses tourments.
La réalité de leur existence, c’est Ti Tony qui la décrit. Franky, lui, préfère reconstituer le passé. Aux Gommiers il est allé un jour sur les traces de l’ancêtre supposé pour se documenter, et depuis il écrit ou revisite la vie de cet Antoine extraordinaire, cet homme en son cœur aussi salvateur qu’une ample métaphore.
Mais quelle est l’essence des récits d’une vie quand elle n’a pas d’avenir ? Avec quelle arme ou quelle faiblesse se construit-on une intériorité, dans les corridors comme ailleurs ? Et quelle est la couleur de la beauté, celle de l’amour, si ce n’est celle que les conteurs et autres rêveurs portent à l’infini ?
Ce roman est l’un des plus beaux, l’un des plus poétiques de Lyonel Trouillot.
Antoine des Gommiers, Lyonel Trouillot
Actes sud, 208 pages, 18 euros