Dans Appelez-moi Cassandre, Rauli quitte La Havane pour l’Angola. Le jeune soldat fera partie des troupes qui interviendront sur cette terre d’Afrique, loin de la Caraïbe, là où se jouera un destin auquel il ne pourra pas échapper. Marcial Gala conte là une tragique odyssée, où désespérance et violence côtoient sensibilité et fantastique.
Appelez-moi Cassandre, de Marcial Gala, fait appel à la mythologie et l’imaginaire pour aborder une page importante de l’histoire de Cuba, en l’occurrence l’intervention de milliers de ses soldats en Angola. L’auteur délivre un récit dans lequel Rauli, adolescent évoluant en pleine utopie socialiste et dans la Santeria, s’avère être Cassandre. Un roman qui attire le lecteur dans la mythologie grecque pour le ramener, par d’habiles stratagèmes littéraires, jusqu’à l’épopée dramatique et contemporaine de Rauli au XXe siècle et aborder avec puissance des questions liées à l’identité sexuelle.
« Dans mon roman, il y a deux réalités »
Paru en septembre 2022 en France, le nouveau roman de Marcial Gala combine avec subtilité réel et imaginaire. Une intention littéraire née dès le plus jeune âge chez l’auteur alors qu’il était encore lycéen en découvrant une reproduction de l’œuvre du peintre néerlandais Jérôme Bosch, Le jardin des délices. Lors du dernier festival America à Vincennes, il racontait : « je rentre dans une galerie et je découvre Le jardin des délices et là je suis frappé par le fait que cet imaginaire m’apparaît plus réel que la réalité. Que ce monde d’ombres est plus réel que ce que je vis. C’est, je crois, le point de départ du désir de voir la réalité autrement et d’explorer le thème de la mythologie ».
Décrit comme « indéniable héritier des grands maîtres latino-américains », Marcial Gala, à l’instar de son héros Rauli, puise dans la littérature et dans son amour des lettres le moyen d’exalter son écriture et son imagination. Ainsi, celui qui a grandi à Cuba n’a pas oublié sa découverte du roman de l’auteur soviétique Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite (Il maestro e Margherita). « Ce roman est le témoignage d’une maladie personnelle que j’appellerai la maladie du Il maestro e Margherita. le roman de Mikhaïl Boulgakov, que j’ai lu et relu, est pour moi le roman le plus latino-américain et certainement le plus cubain. Il décrit parfaitement ce que c’est que de vivre sous un régime communiste. Dans ce roman, il y a une réalité qui se mêle à une autre ; dans mon roman, il y a deux réalités : il y a un réel et un fantastique, c’est aussi une façon de rendre hommage à ce roman que j’ai pu enfin lire quand les Cubains ont en eu le droit après la chute du mur de Berlin et que la censure a été levée ».
Gala fait incursion dans les événements historiques qui ont marqué son pays de naissance. Il alterne lyrisme, changements de tons et de temporalité, pour mettre en présence dans son récit des personnages et des croyances que lui inspirent des éléments sortis tout droit de la culture cubaine et de son expérience de lecteur. On y retrouve « cette partie des dieux afro-cubains » pas facilement accessible durant une enfance marquée par des influences « anti-spirituelle et anti-magie » à Cuba. « C’est d’abord au travers de l’Iliade, avec la mythologie des dieux grecques et romains, que j’ai pu connaître cet univers. Puis, bien plus tard, découvrir l’aspect des dieux afro-cubains. Dans mon livre, j’ai voulu faire un parallèle entre ce panthéon grec et l’afro-cubain. Les Caraïbes, c’est une mosaïque, un mélange de cultures : européenne, africaine et autochtone des Amériques. Mais pendant très longtemps on a nié toute la partie africaine et autochtone américaine, pour imposer un athéisme de racine européenne finalement. C’est aussi cela que je voulais me réapproprier dans mon livre », explique-t-il.
Outre cet entremêlement poétique entre les mythes et les genres littéraires, il y a donc cette réincarnation de Cassandre dans le corps de Rauli. Marcial Gala fait vivre Cassandre, prophétesse troyenne dans le corps d’un jeune homme en prise directe avec les réalités de la société du XXe siècle.
Cassandre, prisonnière dans le corps d’un jeune cubain
Dans ce roman, on retrouve toute la violence qui fait le monde de Rauli, l’obscurité y confronte la lumière du début à la fin dans une dimension fantastique où la chose la plus certaine reste que Rauli est Cassandre. Pour l’auteur, il n’y a pas d’ambiguïté : « avant d’être écrivain, je voulais être peintre, j’aimais en particulier les tableaux de la Renaissance où l’on voit ces trois types de vies de la forme humaine : le ciel, la terre et les enfers sous la terre (la mort) que l’on voit représentée en particulier dans les tableaux naïfs à Cuba. Cassandre qui explique ce que c’est d’être une femme prisonnière dans le corps d’un jeune cubain au XXe siècle, c’est réellement cette Cassandre qui s’est incarnée dans le corps de Rauli. Le personnage du roman parle à Zeus qui ne peut pas savoir ce que c’est d’être Cassandre coincé dans le corps d’un jeune garçon cubain. Ce roman est fantastique du début à la fin, ce n’est pas le discours d’un personnage fou qui se prendrait pour quelqu’un d’autre. C’est réellement Cassandre qui parle, à Zeus, de son expérience en tant que jeune Cubain ».
L’auteur a lui aussi vécu à Cienfuegos, comme Rauli. Il garde en tête son arrivée dans cette ville au sud de la Havane, dans laquelle son père avait été muté, où il découvre à 8 ans la mer « Caraïbe bleue étincelante », depuis le balcon de sa nouvelle maison. Une sensation très forte et une impression qui ne le quitteront plus et ne sont pas étranger à la naissance de ce livre : « c’est la première image qui a inspiré le roman, ce qui a lancé la machine narrative. Écrire un roman, c’est un peu comme un train, comme une voie ferrée, ça commence lentement et si tout marche bien ça prend de la vitesse et c’est parti sur les rails ».
Appelez-moi Cassandre, de Marcial Gala
Rauli, garçon sensible et rêveur, grandit sous le ciel de Cuba. Son père roule des mécaniques dans une Chevrolet déglinguée tandis que sa mère l’habille en fille, en mémoire de sa sœur disparue. À dix ans, il plonge dans la puissance de la littérature. Il lit L’Iliade et découvre qu’il est Cassandre, princesse troyenne, maudite par Apollon pour s’être refusée à lui.
Comme Cassandre, Rauli peut lire l’avenir et c’est un piège. Né dans le mauvais corps, avec un pouvoir de séduction dévastateur, il est rejeté pour tout ce qu’il est, chez lui à Cuba, et en Angola où il devient soldat… Être Cassandre rendra-t-il le quotidien plus supportable, en sublimant sans cesse la réalité ? Quelle sera son échappatoire, sinon trouver refuge auprès des dieux de l’Olympe ou de la Santeria ?
Lyrique et décapant, lumineux et bouleversant, Appelez-moi Cassandre est porté de bout en bout par une insatiable soif d’imaginaire.
Appelez-moi Cassandre, Marcial Gala – Éditions Zulma
Traduction, François-Michel Durazzo
21,70 euros, 288 pages