Le 33e Salon du livre de Paris devait, comme désormais chaque année, permettre de réunir les éditeurs et auteurs d’outre-mer en un seul et même lieu. Une vitrine littéraire ouvrant sur de nombreuses créations mais offrant aussi l’opportunité de convier les lecteurs à célébrer le centenaire d’Aimé Césaire. Parmi les auteurs invités, Alain Mabanckou, l’écrivain franco-congolais qui a remporté en 2006 le Prix Renaudot pour Mémoires de porc-épic, grand connaisseur du poète.
Le Salon du livre de Paris s’est achevé hier lundi avec notamment une matinée réservée aux professionnels du livre, l’occasion pour les représentants des régions et territoires d’outre-mer de faire un inventaire de la situation de l’édition dans ces zones et de faire le point sur le devenir du secteur. Après la « Journée jeunesse », les rendez-vous du public avec Lilian Thuram le vendredi 23, Les outre-mer terres de culture ont accueilli samedi plusieurs invités se relayant pour dire leur vision de la poésie de Césaire, témoigner de leur expérience de lecteur ou confirmer l’influence et le poids de ses écrits sur tous ceux qui l’ont lu. Les Variations Césaire constituaient le point d’orgue du programme et ont permis de réunir des auteurs et des personnalités comme Alain Mabanckou. Auteur de Lumières de Pointe-noire, dans lequel il retrace lui aussi son retour au pays natal, il a dépeint l’impression que lui a laissé la lecture de la première œuvre de Césaire : « Si vous ouvrez le Cahier d’un retour au pays natal, où il commence vraiment sa diatribe, au fur et à mesure que vous rentrez, vous percevez un récit/poème. Parce que vous voyez la mise en scène qui est à l’intérieur, qu’Aimé Césaire fait. Quand vous lisez son recueil, vous sentez qu’il est un narrateur qui est en train de vous emmener pour dire « regardez ce qui s’est passé, voilà, je commence, je suis dans la case de mes grands-parents, je descends dans tel morne, je vais à tel endroit ». C’est un recueil qui donne la leçon aussi bien à ceux qui font de la poésie mais aussi aux romanciers. Parce que qu’est-ce qu’un bon roman ? C’est celui qui a su composer avec la parole poétique et la distance dans l’altération ».
L’hommage rendu à Césaire au Salon du livre revenait non seulement à poursuivre l’introspection des œuvres de Césaire, mais aussi à observer dans les thèses ou récits contemporains les réflexions nées du mouvement qu’il a contribué à imposer. La question souvent entendue par les auteurs de la Caraïbe quant à l’influence d’Aimé Césaire vaut pour bien d’autres et notamment pour les écrivains du continent africain. Ainsi, invité par Valérie Marin La Meslée à dire « en quoi Césaire a pu nourrir le sanglot » (à propos de son livre Le sanglot de l’homme noir), Alain Mabanckou a défini la négritude de Césaire (la distinguant de celle Senghor) et établi le lien qu’il pourrait y avoir entre son propos et celui de Césaire. Pour lui, le discours de Césaire parle à tous : « Il y a un passage dans ce même livre que nous citons où il essaie d’exprimer que sa négritude n’est pas une négritude définie par rapport à l’opposition avec les autres cultures. Sa négritude, c’est pour la soif d’universel. Il a tellement aimé sa race que cet amour lui impose le respect des autres races. Sa négritude consiste peut-être à ramener l’humanité dans une certaine égalité et à éviter cette injustice qui avait consisté à ce que les civilisations occidentales avaient décrété qu’elles étaient l’unité de mesure dans la connaissance. C’est une négritude de recomposition, de recentrement. Césaire ressemblait à cette feuille qui s’est détachée de son arbre avec le vent et qui, à son retour, ne peut pas retrouver son arbre tellement la forêt est immense. Senghor avait une telle assurance dans ses racines qu’on avait l’impression que sa négritude était une négritude d’enracinement. Tandis que la négritude de Césaire est une quête permanente. C’est une négritude qui a donné d’autres tendances dans cette recherche que l’on a retrouvée avec l’antillanité, le tout-monde, la créolité. Elle prenait des dimensions un peu plus vastes pour englober toutes les formes de diasporas dont une seule petite route pouvait rappeler l’origine africaine. Dans ce sens, je pense que Césaire a également inventé ce qu’on appelle aujourd’hui le tout-monde et que ses disciples ont eu à conceptualiser avec les métamorphoses ultérieures des sociétés. Dans Le sanglot de l’homme noir, je suis peut-être très proche d’un des « élèves » de Césaire, Frantz Fanon : je blâme cette victimisation permanente. Frantz Fanon a dit « je ne peux pas passer ma vie à faire le bilan des malheurs nègres« , il n’est pas responsable de ce qui a été fait des siècles auparavant. Ce qui compte, c’est ce qu’il se passe dans les champs de canne à sucre à cette époque-là, c’est-à-dire chercher à trouver une solution pour ceux qui sont en train de souffrir sur le champ. Mais nous l’avons également dans ce sens où le Cahier d’un retour au pays natal demande aux
nègres de prendre en compte de ce qui est en train de se passer chez nous, sur le champ. Le constat que Césaire fait n’est pas l’inventaire d’un greffier qui dresse ce qu’on nous a fait avant. Il le fait par petites touches mais, quand il convoque le passé, c’est pour essayer de régler une histoire sur le champ, c’est-à-dire que son peuple qui est en train d’être oppressé par un système qui ferait que le peuple antillais ne pourrait pas se relever. Mais ça va au-delà puisque c’est un livre qui parle à tous les peuples. Vous prenez le Cahier d’un retour au pays natal, vous le donnez aux Palestiniens ou aux Rwandais, ils se retrouvent à l’intérieur. C’est un des rares livres qui est capable de libérer notre genre humain ».
Daniel Maximin, Suzanne Dracius, Viktor Lazlo, Romuald Fonkoua ou encore Jean-René Lemoine ont également pris part à ces « Variations Césaire » le samedi 24 mars 2013. Évoquant ou déclamant ses plus beaux textes pour partager avec le public la poésie de Césaire et sa capacité à réveiller leur conscience, ou libérer leur imaginaire, ou même permettre de connaître l’Afrique. « Quand on étudiait Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor au lycée, on avait longtemps cru que l’Africain, c’était Aimé Césaire » expliquait ainsi Alain Mabanckou.