Partant de la naissance en septembre 1983 du Mouvement pour une nouvelle humanité, mouvement peu connu et « créé par des personnes noires, à l’instar du Parti Progressiste Martiniquais fondé par Aimé Césaire, le 22 mars 1958 », Gérard Théobald analyse, dans De l’indigène, à l’individu au citoyen : mémoire d’une diversité, des aspects historiques et des principes socio-politiques qui ont vu la mutation des enfants des colonies en France.
L’auteur guadeloupéen structure son argumentation de textes symboles forts, de discours et de points de vues de personnalités historiques ou controversées. Le lecteur est directement intéressé au sort du Nègre dans la France coloniale mais pas uniquement puisqu’il s’agit d’évoquer plus globalement l’individu qui au final endossera le rôle de citoyen. De l’effrayante position du « grand dictionnaire universel de Pierre Larousse en 1872 » sur le Nègre (seulement un quart de siècle avant le décret de 1848) au statut de « la personne noire » dans la France de 1983, l’auteur met en relation son propos avec une série de références et d’actes qui précèdent la naissance du citoyen.
Du sort prêté par le Code noir aux esclaves à celui que s’autorisent les nèg marrons, à la vision du Nègre que se font les colons, puis les anti-esclavagistes et les philanthropes européens, Gérard Théobald réunit une abondance d’éléments d’ordres historique, religieux, politique ou encore géographique pour un effort de lecture et d’appropriation qui aide à appréhender l’itinéraire d’un indigène devenu citoyen après avoir connu la condition d’individu. Pour le lecteur principalement intéressé par les parcours des citoyens « héritiers de la mémoire des Codes noirs », Gérard Théobald répertorie les décisions et les faits d’armes de personnalités historiques : Louis Delgrès, Toussaint Louverture Dessalines… En Haïti, en Algérie, à la Chambre des députés de France, au sein des gouvernements successifs et au gré des opinions d’intellectuels français s’ajoute une analyse relative qui peut permettre d’en savoir plus sur les antagonismes politiques ou notamment les accords gouvernementaux qui ont régi les rapports entre la France et ses colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane entre autres), depuis l’esclavage et jusqu’à ce qu’au final les instruments de lutte changent de mains et de formes. Gérard Théobald éclaire sa démonstration en relevant l’apport de la pensée convoquant les figures que l’on associe aisément à l’émancipation de « la personne noire » comme Aimé Césaire et, évidemment, le nécessaire Discours sur le colonialisme qui trouvera écho jusqu’en 2005 avec le refus du poète d’accueillir le ministre de l’Intérieur qui avait pris certaines positions sur le rôle de la colonisation.
Avec De l’indigène, à l’individu au citoyen, Gérard Théobald, à qui nous avons consacré un article, refait le trajet depuis la « Tête de nègre… » jusqu’au moment où « la plume devient l’arme redoutable et redoutée » et que « l’écriture, le mot, deviennent plus efficaces que les flèches », après des hommes et des femmes « entrés dans l’histoire de France de manière contrainte et forcée », parmi lesquels Aimé Césaire et le mouvement de la Négritude.
Le livre de Gérard Théobald ne passe pas seulement en revue le labyrinthe des textes et des déclarations qui ont fait et refait le statut de « la personne noire » mais plus généralement les nombreux carrefours qui ont conduit l’indigène au statut de citoyen et au regard que porte aujourd’hui le décideur politique sur ce même citoyen.
De l’indigène, à l’individu au citoyen : mémoire d’une diversité, aux éditions Édilivre
Gérard Théobald
Essai/Étude politique
368 pages, 34 euros et (20,40 euros en version numérique)