« Écrire ici, écrire là-bas, écrire ailleurs ? La Réunion, les Caraïbes, l’Océanie, l’Hexagone, comment écrit-on d’un océan à l’autre ? » A cette question qui faisait débat le samedi 19 mars dernier au salon du livre, on serait tenté d’ajouter : écrire pour qui ? écrire comment ? tant la problématique paraît soulever des questionnements chez ces auteurs d’outre-mer éparpillés au gré des océans.
Écrire pour qui ? parce qu’il a été question du taux trop élevé d’illettrisme, par exemple à La Réunion ou en Guyane. Une situation qui, bien entendu, pose un problème de société mais qui interroge aussi le statut d’auteur dans sa dimension universelle. Des auteurs qui trouvent dans leur environnement culturel, patrimonial ET linguistique les éléments d’embellissement ou de fertilisation de la langue et font naître leurs poèmes ou leurs romans. Ainsi, pour André Paradis, écrivain guyanais, « il n’y a pas que langue qui exprime une culture… Le vrai problème est de savoir comment exprimer sa propre culture en tenant compte de la culture commune. Chaque culture influence la voisine. »
Écrire comment ? parce qu’un tel débat ne pouvait pas non plus occulter la question de l’expression des particularismes selon que l’on se trouve dans un archipel d’Océanie comme Weniko Ihage, directeur de l’académie des langues kanak, ou dans la Caraïbe comme Alfred Alexandre (Les villes assassines, Editions de l’Archipel).
Des dissemblances et une telle variation des réalités qui amènent à constater que l’un des rares éléments qui rapprochent ces territoires, c’est leur rattachement, plus ou moins caractérisé, à la France. Un autre point commun étant peut-être la volonté tacite et commune de prendre la plume pour enfin ne pas laisser d’autres le faire à sa place. Un point déjà soulevé par la romancière polynésienne Chantal Spitz lors de la conférence «Devoir de mémoire ou droit à la fiction» qui s’est tenu le 18 mars, et par l’auteure néo-calédonienne Déwé Gorodey autour du débat sur « Les outre-mer : unité ou diversité ».
Autant de cheminements d’écriture et de questionnements historiques qui, une fois posés, obtiennent une infinité de réponses, selon que l’on se trouve dans le Pacifique, l’Atlantique ou l’océan Indien. Des réflexions culturelles, linguistiques ou encore artistiques qui trouvent encore de multiples réponses lorsqu’une vie d’écrivain contemporain vous entraîne dans les espaces amérindiens de Guyane, dans les rues de Fort-de-France ou lorsque l’on est un poète calédonien comme Luc Camoui. Des réalités qui viennent bonifier les imaginaires, comme a pu l’exprimer le romancier et poète guadeloupéen Daniel Maximin : « Dans les outre-mer, depuis trois siècles, il n’y a pas eu de rupture profonde entre culture savante et culture populaire. Les cultures populaires sont tellement symboliques de l’histoire… Tout le travail de l’écrivain est d’intégrer ces cultures populaires dans son œuvre. Comme tout est le résultat d’une conquête ou d’une reconquête, cela ne va jamais de soi. C’est pourquoi on doit toujours éviter de copier cette culture pour ne pas la trahir. Il faut donc translater. Une des pratiques populaires les plus puissantes est celle de ce conte qui consiste à rappeler à chaque fois les liens qui existent entre le réel et l’imaginaire, de prouver que l’imaginaire est une manière de confronter le réel. C’est pour cette raison que l’on a inventé le fameux cric-crac. Comment transposer cette pratique vivace ? On fait comme pour la musique. La rythmique, le style même de l’écrivain, a une dimension musicale qui est fondatrice. Il faut que ça chante car la musique est la base de notre culture. On voit ça dans le style haïtien de réalisme merveilleux. Il faut toujours une dimension imaginaire, de conte. Nous ne pouvons pas être englués dans une posture qui ferait de nous les journalistes de notre histoire. La pratique de ce conte critique est une chose qui nourrit la manière de la pratique du conte romanesque. »
Les participants du débat ont convenu que la position commune des «outre-mer», si elle ne permet nullement de trouver des réponses analogues, permet peut-être d’effectuer quelques rapprochements d’expériences ou au moins de constater que les controverses se posent partout immanquablement. C’est par exemple le cas pour l’écriture du créole : la langue qui occupe les débats des spécialistes guadeloupéens, martiniquais et guyanais dans la Caraïbe fait aussi beaucoup parler à La Réunion d’Axel Gauvin où s’ouvrira bientôt un débat sur la graphie. Le créole, langue(s) vivante(s) qui varie(nt) d’un océan à l’autre et influence(nt) les récits, les poèmes et les romans d’un océan à l’autre. Ici, là-bas comme ailleurs…