Rythmique Incandescente, dernière parution en date de Jean-Robert Léonidas, est son second recueil de poésie, sorti aux éditions Riveneuve, en librairie depuis décembre 2011. E-karbé l’a interrogé en marge de sa participation au dernier Salon du livre de Paris.
Jean-Robert Léonidas, natif de Jérémie en Haïti, est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages dont Parfum de Bergamote, autre recueil de poésie, et Les Campêches de Versailles, un premier roman paru en 2005. Médecin et auteur d’articles scientifiques, il a joint son nom au nombre sans cesse grandissant des écrivains et romanciers haïtiens. Avec Rythmique Incandescente, il poursuit son voyage dans la littérature, un monde où « l’écriture devient alors un outil de réparation« . Dans cet entretien, Jean-Robert Léonidas nous en dit plus sur la « cassure radioactive et libératrice de chaleur » qui l’inspire dans ce recueil, une circonstance propice à l’énergie créatrice. Une démarche rendue perceptible à travers son dernier livre.
e-Karbé – « De cette cassure radioactive et libératrice de chaleur est née, dans le feu et la flamme, Rythmique Incandescente » : cette phrase conclut la présentation de votre dernier recueil de poésie. Pouvez-vous nous dire quels sentiments sont nés de cette cassure et se répercutent dans votre livre ? À quoi le lecteur doit-il s’attendre ?
Jean-Robert Léonidas – Une cassure, c’est une rupture. Et la vie n’est faite que de cela. Il y a hier, il y a aujourd’hui. Il y les événements provoqués ou automatiques, les phénomènes naturels qui déstabilisent. Il y a le jour d’après. Il y a les matins auxquels viendra mettre fin l’arrivée des ombres prometteuses d’aurore. L’écriture de la rupture est un lieu de blessure. Elle déclenche de la douleur qu’il ne faut pas nécessairement mettre en exergue. Il faut tenter de mettre en bémol les souffrances du « je » pour que se réalise l’orchestration du « nous » et donc la solidarité humaine. L’existence, rompue en plusieurs endroits, domaine terrible des assauts, est génératrice d’une énergie de la survie, d’une volonté de continuer, sinon elle prend fin. L’écriture devient alors un outil de réparation, un agent de la permanence et de la perpétuité. Il y a là le symbolisme des malheurs du monde, la métaphore des désastres qui harcèlent l’univers sans jamais pouvoir l’éliminer jusqu’à date. Du terrain de l’affrontement, du champ de bataille, surgit un chant de victoire, une musique, une rythmique incandescente, même si celle-ci est née dans le désarroi des choses, dans une esthétique déséquilibrée, forcément hors norme… mais nouvelle.
e-Karbé – Rythmique incandescente est votre second livre de poésie à paraître plus de quatre ans après Parfum de Bergamote. Vous êtes également auteur de romans, d’articles et d’essais mais peut-on dire que la poésie est pour vous le moyen le plus noble de partager avec vos lecteurs ?
Jean-Robert Léonidas – C’est un des moyens. Noble, certes. Mais pas le seul. Le monde est pluriel. Les caractères et les goûts aussi. Mes lecteurs et même un critique averti ont eu à remarquer que mon premier roman a eu un fort relent de poésie sous-jacente. C’est peut-être chez moi une tendance. Peut-être la poésie est-elle le dénominateur commun qui sous-tend mes écrits et mes œuvres littéraires en général. L’écrivain est porteur de message. Il lui incombe de se faire comprendre d’une façon ou d’une autre. Pourvu qu’il distribue du plaisir. Même si son style est aigre-doux. Car le monde adore cette tension limite entre l’aigreur et la douceur…
e-Karbé – Dans un extrait de Rythmique incandescente, on peut lire : « Peuple de couleurs et de sons, peuple de peinture et de musique, Haïti a inventé un nom aux séismes pour mieux les domestiquer. Goudougoudou, goudougoudou. Je te nomme donc je te maîtrise ». Y a-t-il toujours dans vos écrits ce regard sur Haîti et son peuple ?
Jean-Robert Léonidas – J’ai dit quelque part que toute poésie est régionale, tout bon roman territorial. Même si l’écrivain est libre d’habiter n’importe quel lieu et surtout l’espace de la langue (selon le vœu de Cioran), encore faut-il savoir que le créateur est comme un arbre planté dans un jardin bien défini. Il prend racine quelque part. Le miracle, c’est que ses branches deviennent aériennes, mobiles, détachées du terreau originel. Les fleurs s’ouvrent et s’éparpillent à tout vent. Le parfum des fruits traverse l’atmosphère, s’exporte, pour amplifier et parfois améliorer les senteurs du monde. Oui, mon regard sur Haïti est réel. Mais il jouit d’un pouvoir centrifuge qui me fait atteindre un univers sans lisière. Dès lors prend naissance un nouveau phénomène : le regard universel qui me fait frémir de découverte devant le visage des autres. C’est donc un enrichissement qui carbure dans les deux sens. En retour, il éclaire mon propre visage et celui de mon pays. Toute bonne littérature est solidaire du monde.
e-Karbé – Vous présentez un itinéraire d’écrivain inhabituel, puisque vous poursuivez en parallèle une carrière de médecin. Comment définiriez-vous votre parcours d’auteur ? Quel a été l’instant essentiel qui vous a conduit à l’entamer ?
Jean-Robert Léonidas – On apprend à devenir médecin à l’université, on apprend à lire et à écrire, à bâtir une phrase correcte. Mais je ne connais aucun endroit au monde où l’on peut apprendre à devenir écrivain. Écrire, c’est se déconstruire, faire fi des idées reçues. Et se refaire. Refaire le monde à travers ses propres mots et ses propres convictions… On se forme à l’écriture il est vrai, mais en s’accrochant à cette petite lumière intérieure qui vous habite depuis longtemps, en s’attachant à la lecture d’autres écrivains, en se passionnant pour les mots, les lettres, et un beau jour, sans le savoir, subrepticement, sans diplôme, on réalise qu’un autre écrivain prend plaisir à vous lire, que des lecteurs s’émeuvent à citer une de vos phrases. Alors on comprend que le germe de l’écriture éclate en vous, se multiplie et devient une semence fondatrice… En clair, je n’ai pas une bonne réponse à cette question. Un beau matin, j’ai senti qu’il me fallait prendre soin de moi-même. Médecin guéris-toi toi-même ! J’ai réalisé que l’écriture calmait mes malaises et mon mal-être. Et voilà…
e-Karbé – Vous travaillez sur votre prochain roman, À chacun son big-bang. Est-il possible d’en savoir plus sur cette prochaine parution ?
Jean-Robert Léonidas – C’est partiellement une histoire sans issue qui m’en a mis sur la piste, une quête de l’origine restée sans réponse. Alors la fiction s’est vite mêlée de la partie et le 10 mai 2012 aux éditions Zellige, (Léchelle, France) va paraître une histoire sans doute haïtienne qui prend sa source dans le Congo de Léopold II en passant par la Grèce et la Belgique avant d’exploser aux Antilles… Surveillez la sortie de À Chacun son Big-bang et bonne lecture.
Rythmique Incandescente, de Jean-Robert Léonidas
Éditions Riveneuve – Collection Arpents
136 pages – 12 euros