En janvier, l’association Haïti Mémoire et Culture a invité Sylvie Brodziak, docteure en langue et littérature françaises. Le panorama de la littérature haïtienne qu’elle a dressé a permis aux participants de constater la richesse en qualité et en nombre des publications venues d’Haïti.
Chaque année, depuis plusieurs générations, la littérature haïtienne garnit les rayons des librairies et les étagères des bibliothèques. La présentation faite par Sylvie Brodziak a mis en évidence le dynamisme de la vie éditoriale haïtienne émanant de l’intérieur du pays comme de sa diaspora. Une forte activité créatrice qui entretient aujourd’hui la passion pour la littérature dans ce pays de la Caraïbe.
De façon très efficace, l’universitaire, qui s’intéresse notamment aux littératures francophones, a tout d’abord passé en revue les différentes générations d’écrivains qui ont posé les bases du succès de cette littérature.
La paysage qu’elle décrit va de la première génération qui prenait la littérature française en modèle sans s’arrêter sur la réalité haïtienne, à celle qui s’est ensuite appliquée à « brunir la langue française » avec pour mot d’ordre celui d’Emile Nau du « soyons nous-même ». Il comprend aussi le tournant voulu par une troisième génération d’écrivains (les romanciers réalistes) du 19e siècle, celle qui a entrepris de prendre de la distance avec la littérature française jusqu’à celles qui « se libèrent du carcan des modèles » et prend en compte l’histoire et la mémoire d’Haïti avec des publications qui deviennent des inévitables de la littérature comme le Gouverneur de la Rosée (Jacques Roumain, 1944). Forcément, la période duvaliériste et les nombreux auteurs qu’ont fait naître cette période trouble n’ont pas manqué d’être évoqués, notamment avec le réalisme merveilleux qui explique « l’entrée importante de l’imaginaire dans la littérature haïtienne », jusqu’au plus récent Frankétienne et son mouvement du spiralisme qui « ne plagie rien d’autre que l’œuvre en mouvement », explique Sylvie Wozniack. L’universitaire, en abordant cette suite de mouvements et de préceptes de la littérature haïtienne, a mis en exergue les combats menés par le biais de la littérature par des dizaines d’écrivains épris de belle langue et de culture.
La littérature haïtienne n’est pas uniquement le fait des auteurs qui vivent en Haïti et Sylvie Brodziak d’évoquer aussi « une littérature migrante » notamment le fait d’hommes et femmes de lettres basés principalement au Québec. Ceux-là tiennent aussi un rôle important dans une littérature qu’elle considère comme « l’une des plus riche et des plus importante au monde. Une littérature du quotidien, qui raconte des histoires et qui nous permet de rencontrer l’autre. Une littérature qui sait hurler… La plus vivante à l’heure actuelle ».
Un panorama chronologique éloquent
Dans un exposé chronologique concis, Sylvie Brodziak fait apparaître la densité d’une littérature qui se renouvelle sans cesse et qui peut par exemple trouver une impulsion nouvelle ou matière à se réinventer au lendemain d’un séisme comme celui qu’a connu Haïti en janvier 2010.
Pour peindre le tableau de la littérature contemporaine, Sylvie Brodziak, dont l’intérêt se porte également sur la création littéraire après les grandes catastrophes historiques et naturelles, commence par introduire dans son paysage un René Depestre (Alléluia pour une femme-jardin, 1981) que ses écrits classe à la page de « l’érotisme solaire ».
La mise en place d’un riche inventaire se poursuit à travers un exposé passionnant des personnalités qui portent haut la littérature haïtienne et caribéenne dans le monde. De Gary Victor et « son écriture désabusée » à la « littérature haïtienne du dehors » représentée notamment par l’académicien Dany Laferrière, la conférence était l’occasion de percevoir toutes les variations du monde littéraire francophone haïtien porté par les romanciers. Parmi eux, Jean-Claude Fignolé et ses mondes merveilleux (Les Possédés de la pleine lune, 1987) ; Kettly Mars et son écriture engagée (Saisons sauvages, 2010) ; Lyonel Trouillot qui « sait raconter des histoires , qui a l’art des formules et des titres… Un magicien de l’écriture » ; « qui fait triompher la littérature au féminin » (Guillaume et Nathalie, 2013) ; et biens d’autres plumes.
Sylvie Brodziak a également mis en lumière la vitalité de la poésie, qui elle aussi reste très vivante. Le genre poursuit son histoire commencée depuis des années avec le pays à travers les mots d’Anthony Phelps, de Rodney Saint-Eloi ou encore de Dominique Battraville.
Une fois démontré le foisonnement des littératures sur une terre qui voit chaque année apparaître de nouveaux auteurs, il reste à s’interroger sur ce qui permet un tel bouillonnement et dire comment il est possible d’être Haïtien et écrivain. Sylvie Brodziak trouve la réponse dans les mots de Lyonel Trouillot qui voit dans la littérature « le lieu d’exploration de son propre rapport à la liberté ». Il l’explique dans une entrevue citée en conclusion de la conférence : « Je suis écrivain. Être écrivain, c’est, comme je le disais, être dans ce rapport avec soi-même et avec le langage. Je suis Haïtien. L’un n’empêche pas l’autre et je vis les deux de manière assez tranquille » (Source : entretien avec Guy Tegomo).
De quoi convaincre que le tableau dressé lors de la conférence peut encore s’enrichir de nombreux portraits, notamment tous ceux d’expressions anglophones qui offrent une place de choix à la littérature haïtienne en Amérique du nord. Si toutefois, comme le romancier et poète haïtien Lyonel Trouillot, qui occupe une place importante dans la littérature francophone contemporaine, faire rimer Haïti et écriture peut continuer à se vivre paisiblement, pour le plus grand bonheur des lecteurs.