La mémoire aux abois est le roman du dialogue de deux solitudes dans un hospice parisien entre la veuve d’un dictateur, affaiblie, qui se meurt lentement et la jeune assistante médicale qui la soigne. Entre les deux, obsédant, Quisquéya leur pays commun, et perdu, Quisquéya marqué par une dictature de trente ans, de père en fils. Dialogue improbable, impossible, combat entre deux mémoires : celle de la veuve qui se remémore la rencontre avec son époux défunt, ce qu’étaient alors leurs rêves, en tous les cas les siens, puis les années terribles de l’exercice du pouvoir et puis celle de la jeune femme toute imprégnée des souvenirs que sa mère lui a transmis — sa mère qui a vécu ces années de cauchemar et perdu son frère alors qu’elle n’était qu’une enfant. Paroles qui se cherchent, s’opposent, mangées de silences, de regrets et de reproches, dans une atmosphère qui se tend peu à peu entre la veuve oscillant entre regrets murmurés et méfiances et puis la jeune femme et à travers celle-ci sa mère décédée dont les souvenirs la hantent et l’envahissent. Et c’est entre ces voix entrecroisées que se dessine un portrait saisissant de la dictature, voix de celle qui l’a vécue aux côtés de son mari à chaque grande décision, et celles, multiples, des souvenirs transmis et retransmis, de ceux qui vécurent l’horreur. D’une écriture tendue, subtile, un roman bouleversant, qui donne d’Haïti une vision saisissante.