Sous le titre Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours vient de paraître un ouvrage qui témoigne de la présence assidue de la poésie dans la littérature haïtienne.
Les auteurs de cette Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours parcourent 20 ans de poésie, de 1986 avec la fin de la dynastie des Duvalier, à aujourd’hui. Ils inventorient et observent l’évolution et la libéralisation de la poésie haïtienne de langue créole, évolution qui contribue à la dynamique de la littérature haïtienne et favorise, pour une bonne part, à l’épanouissement du lectorat en Haïti. Mehdi Chalmers, Inéma Jeudi, Chantal Kénol, Jean-Laurent Lhérisson et Lyonel Trouillot ont ainsi réuni et traduit les poèmes contenus dans cet ouvrage collectif pour faire connaître encore plus largement ces auteurs. Pour ces initiateurs, l’Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours « a pour vocation de faire entendre les voix de plusieurs générations de poètes vivants et de saluer la mémoire de prestigieux disparus tels rené Philoctète et Pierre Lajoa. »
On y retrouve des voix comme celles de Georges Castera, auteur de nombreux recueils de poèmes en français, mais aussi en créole comme Gout pa gout (Mémoire d’encrier), qui regroupe une cinquantaine de poèmes créoles ; ou celle de Kettly Mars qui, avant d’être auteur de nouvelles et de romans très remarqués, a commencé sa carrière d’écrivain avec la poésie, « genre littéraire par lequel l’auteur exprime sa créativité et va à la rencontre de l’Autre » (Wikipedia). James Noël, Syto Cavé, Dominique Batraville, René Philoctète, Pascal Lafontant et Lyonel Trouillot font parties des auteurs répertoriés dans l’anthologie.
Mehdi Chalmers et Lyonel Trouillot, dans la préface de l’anthologie parue en septembre 2015
« Aujourd’hui, nombreux sont les auteurs qui sont originaires des milieux populaires, qui ont grandi dans les quartiers défavorisés de Port-au-Prince ou d’une autre ville, qui ont vécu la sale vie des rues qui ne dorment pas, des maisons surpeuplées, croisé les cadavres abandonnés des anonymes assassinés. Ils amènent à la littérature, à la poésie, un autre ressenti. Le ressenti de celles et de ceux qui n’ont pas grandi dans les bibliothèques, qui n’ont pas connu l’époque où des parents bienveillants et conservateurs disaient à leurs fils : « Mais pourquoi perdre ton temps à écrire en créole ? » Ils amènent à la littérature des amours qui ne sont pas nées dans les livres, des colères et des désespoirs, des espoirs aussi, qui sont leur ventre même, leurs plaies vives et leurs paris intimes. Ils amènent aussi un autre rapport à la langue. […]
Le créole réalise collectivement par la poésie depuis 1986 un geste de re-création de l’Être haïtien, de réappropriation de la parole profonde, vivante, en créant une langue, en créant la langue vulgaire, au sens de cette langue vulgaire italienne que Dante créa, en s’en saisissant et créant par là même sa langue littéraire : devenant comme l’un des phares, il montre l’horizon que devra conquérir chaque langue littéraire. […]
En réalité, la poésie créole puise d’abord dans le creuset de ceux qui, comme mentionné plus haut, n’ont pas facilement accès au trésor polyphonique de la littérature des autres continents, française ou autres. Qui a dit que le créole gère mal le détail? C’est aussi le détail et la quête de sens du quotidien populaire qui entrent en poésie.
La tradition de la poésie créole s’invente bien plus dans le visible et l’infravisible de l’univers quotidien de tous, d’un tous à présent plus réel, avec le surréalisme, le réalisme socialiste, le réalisme magique, l’imagisme, ou toutes les écoles, tendances et mouvements que vous voudrez ajouter, inclus, enjambés, et, qui sait, dépassés par moments.
Cette poésie créole, dont nous retenons quelques manifestations depuis 1986, est avant tout l’œuvre de ceux qui vivent une forme de vie entière et assumée, une vie non pas encore changée (loin de là !) mais – et c’est déjà fondamental – une vie internalisée par un acte d’écriture, et projetée vers une transmutation possible. »
Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours
Poèmes rassemblés et traduits par les membres de l’Atelier Jeudi soir, Mehdi Chalmers (Professeur de philosophie et poète), Inéma Jeudi (poète, journaliste), Chantal Kénol (assistant directeur littéraire de l’Atelier Jeudi soir, écrivain, poète), Jean-Laurent Lhérission (urbaniste, poète)et Lyonel Trouillot (romancier et poète, intellectuel engagé, acteur passionné de la scène francophone mondiale).
Editions Actes Sud, septembre 2015.
192 pages, 22 euros.