Léon Damas, trois fleuves dans les veines, au dernier Salon du livre de Paris


Le centenaire de la naissance de Léon-Gontran Damas, qui trouve un écho dans plusieurs manifestations depuis le début de l’année, ne pouvait pas être absent du 32e Salon du livre de Paris qui s’est achevé ce lundi 19 mars. Sous le thème « Léon Damas, trois fleuves dans les veines » se tenait le samedi 17 mars une table ronde à laquelle participaient écrivains, poètes et éditeurs.

Au centre des échanges, les concepts qui illustrent la poésie de Damas, sa modernité, son audace rythmique et son universalité, mais aussi son appartenance à la Guyane. Autant de dimensions qui ont animé les discussions et conduit au constat pertinent de Daniel Maxiximin, selon lequel « la poésie de Damas dépasse tout territoire même si elle ne peut s’entendre que par la Guyane ». Une vérité qui venait conclure le débat ouvert par Sandrine Poujols, universitaire qui a préfacé la réédition de Black Label, sur la pluralité des origines de Damas et leur influence sur l’universalité de sa poétique.

Auparavant, le poète et romancier guadeloupéen s’était exprimé sur la place de Damas dans le trio des chantres de la Négritude, réfutant l’impression selon laquelle Damas fut « la mauvaise conscience des deux autres » (Césaire et Senghor). Il a partagé avec un public trop peu nombreux sa conception de l’auteur de Névralgies et de Pigments et son parcours : « Il faut se débarrasser de l’image de trois auteurs réfléchissant à la Négritude. Ce sont avant tout trois poètes, Damas étant le plus poète des trois. Le peu que l’on peut voir de la profonde connivence entre eux s’explique par la profonde solitude de chacun d’eux et la primauté absolue de la poésie dans leur vie. La solidarité de poètes dépasse les autres solidarités. Damas, en plus de poète, est avant tout un médiateur de poésie qui a contribué à faire connaître de nombreux poètes du monde. Il a été le promoteur d’une poésie nouvelle, engagée, avant-gardiste. Ce n’est pas un hasard si deux de ses livres ont été interdits ». L’influence et l’intensité des vers du poète guyanais a pris une large part dans les échanges de vues, comme a pu l’expliquer Daniel Maximin : « il n’y a qu’une seule chose à faire avec Damas, c’est le lire. Il a tout mis dans son oeuvre, c’est celui qui est allé le plus loin. Il y a trop de problème dans le monde pour s’occuper de soi. C’est en ce sens que la poésie de Damas est très forte, très puissante ».

Pour Ernest Pépin, la fulgurance prévaut dans la poésie de Damas. Il y observe une singularité qui le distingue encore de Césaire et de Senghor : « il faut faire surgir le poète, faire sentir sa démarche. Je ne vais pas le comparer aux autres, cela n’a pas d’intérêt. C’est un précurseur, un homme de rupture. Il va aller très tôt et constamment vers une poésie de la fulgurance. Il veut lancer une poésie en rupture avec la poésie française de l’époque ». Des vers et des mots amplifiés par le tempo et la musicalité inhérents à la poésie de l’auteur de Black Label : « sa poésie se tourne vers des rythmiques américaines, proches du blues, où le mot lui-même fait sens poétique comme personne n’avait su le faire avant et comme Prévert a pu le faire plus tard. Il aurait pu se satisfaire d’être un poète qui a réussi à Paris mais il va s’inscrire dans un collectif pour pouvoir exprimer la douleur du peuple à travers sa souffrance personnelle. »

Interrogé sur « l’exaltation amoureuse et la souffrance » par lesquelles se distingue un Damas révolté, André Velter, directeur poésie chez Gallimard, trouve à sa lecture, outre le rythme, une dimension personnelle et une inflexibilité surprenante. Il traduit ainsi ce qui chez Damas mobilise l’attention, comme « le côté irréductible d’une parole qui trouve son champ personnel et maîtrisé, qu’on ne retrouvait pas chez les autres, et qui nous ouvrait un territoire beaucoup plus vaste qu’une poésie simplement revendicative et militante ». Un sentiment partagé par Élie Stephenson, poète et professeur de sciences économiques guyanais, pour qui l’aspect militant rejoint l’aspect contemporain : « aujourd’hui encore, il faut voir ces jeunes lycéens qui mettent en rap les textes de Damas. Il est le plus actuel, au sens non pas moderne mais au sens proche, qui colle à la réalité économique et sociale de notre époque. Au-delà de la négritude, Damas est un poète de la revendication populaire ».

C’est aussi l »appréciation dynamique qui mobilise l’attention du poète Élie Stephenson qui a côtoyé Damas et qui revendique une « relation filiale » avec son aîné guyanais. Une proximité qui s’est par exemple traduite en 1978 par la sortie d’un disque Léon-Gontran Damas, dans lequel il était accompagné du groupe Les Neg’Marrons. En 2012, au Salon du livre, il conserve intact le souvenir de Damas, « poète guyanais, Damas qui s’intéressait aux autres« .

Damas, le Guyanais
Un autre aspect de la poétique de Damas, c’est justement sa relation à la Guyane. Élie Stephenson et Catherine Lepelletier, auteure du récent Rhapsodie Jazz pour Damas, tous deux issus de la même terre, ont de ce fait d’autres outils pour appréhender les vers de Damas dont la guyanité est pour eux plus que manifeste. Élie Stephenson explique qu’il lui « a appris l’univers poétique de la négritude et cet univers a toujours été en quelque sorte, pour moi, une ligne de partage. Rendre hommage à Damas, c’est rendre hommage à toute la Guyane. Son poème La torche est révélateur de sa volonté de reprendre le flambeau… Un homme qui voulait retrouver sa terre natale et l’aider à se mettre debout ».

 Mylène Wagram
Mylène Wagram et Pablo Contestabile

Le rapport de Damas à la Guyane, c’est cette relation exclusive qui pousse Catherine Lepelletier à s’interroger sur les différentes acceptions des « Trois fleuves coulent dans mes veines », du Damas qui fut aussi homme politique, comme Césaire et Senghor, mais est demeuré avant tout poète. Pour elle, les trois fleuves, « de toute façon, ramènent à cette obsession guyanaise que l’on retrouve dans tous ses textes. Avant Pigments, il a publié cinq poèmes dont un d’entre eux était titré Cayenne 1927. C’était une relation affective, une relation parfois compliquée, surtout sur le plan politique ». Complétant l’évocation de Damas le poète, Catherine Lepelletier rappelle son parcours politique, qui une fois de plus le liait à la Guyane : « il a été député de la Guyane pendant trois ans. Il s’est par la suite présenté plusieurs fois sans succès mais toujours il est revenu. Il a toujours gardé le même accent amoureux de son pays ».

Damas, poète universel, poète esthétique
L’idée régulièrement avancée que la poésie de Damas se prête plus qu’une autre à la scène et au théâtre a inévitablement trouvé un écho lors de cette table ronde. Une réalité qui explique l’engouement constant et même grandissant pour sa poésie. Ainsi, André Velter confirme avoir « toujours rencontré des comédiens ou des chanteurs qui avaient envie de dire du Damas parce que c’est le corps même qui parle. Insensiblement mais avec une très grande présence, il est en train de trouver sa vraie place. Comme souvent chez les poètes, il est en train de trouver son temps après sa mort. Sa poésie n’est pas lyrique comme les autres, il ne se paie pas de mots, il se les arrache à lui-même ».

« Une poésie de mots mais surtout de silences », pour Élie Stephenson ; une poésie qui se rapproche « de ce que font certains musiciens de jazz, par exemple Miles Davis, qui part d’une rumination et ne finit pas avec les mots » pour Ernest Pépin. Tout un univers dans lequel s’est régulièrement plongée la comédienne Mylène Wagram qui en 2011 présentait déjà la pièce Léon Gontran Damas a franchi la ligne, mise en scène par Frédérique Liébaut. Samedi, au Salon du livre, elle concluait la table ronde avec un moment poétique, Damas feu sombre, avec Pablo Contestabile.

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