Dans Littérature et société : La Guyane, Catherine Le Pelletier, auteure et professeure de littérature générale et comparée, analyse le processus d’évolution de la littérature guyanaise en observant les contours de ses spécificités et les objectifs des auteurs depuis les roches gravées jusqu’à aujourd’hui.
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Catherine Le Pelletier a mené une étude portant sur l’histoire de la littérature guyanaise qui, logiquement, l’a conduite sur les traces des auteurs qui évidemment font autorité, comme Léon-Gontran Damas ou Réné Maran. Le résultat de ce travail publié dans Littérature et société : La Guyane a aussi été l’occasion de mettre en évidence plusieurs repères et tendances littéraires sur lesquels se fonde cette littérature, avec une « abondante matière à des analyses théoriques rigoureuses, des rapports entre littérature, société et culture ».
Dans cet ouvrage qui invite à découvrir des aspects méconnus de la littérature guyanaise tout en se faisant outil de réflexion sur celle-ci, Catherine Le Pelletier commence tout d’abord, références chronologiques à l’appui, par placer « La Guyane dans la littérature française, XVIIe, XIXe, et XXe siècles », avant de porter une attention marquée à sa structuration au fil du temps, aux éléments littéraires et linguistiques qui la définissent et aux contextes historiques qui accompagnent son émergence et assurent sa pérennité. Parmi ceux-ci l’esclavage, la colonisation et le bagne, autant de poncifs convenus qui traînent encore dans les écrits se rapportant à la Guyane et l’identité guyanaise.
Des roches gravées aux récits de voyage
Des roches gravées (premières écritures) aux récits de voyage, en passant par les mémoires, l’auteur multiplie les repères qui expliquent et permettent de clarifier l’itinéraire d’une littérature qui s’affirme en empruntant diverses configurations. S’appuyant sur des indicateurs historiques parlants, par exemple, les prémices de la colonisation, l’expédition de Kourou (1763), la fermeture du bagne (1946) ou encore la première abolition de l’esclavage, elle nous éclaire sur la façon de lire l’histoire de la Guyane à travers les caractéristiques de sa littérature. Ainsi, dans le cas des auteurs comme Jean de Léry, Bougainville ou Malouet, le lien est fait entre la colonisation et des choix d’écritures circonstanciés, inhérents à cette époque : les auteurs privilégient les récits de voyage, les chroniques et les mémoires avec des points de vue « forcément européens », comme permettent de le comprendre les observations de Catherine Le Pelletier.
Au nombre des repères qui attire l’attention du lecteur, celui que l’auteure pose avec le cas de « Pierre Mettereaud, pionnier de l’histoire guyanaise », que beaucoup de lecteurs découvriront pour l’occasion. Auteur d’ascendance amérindienne, il a signé les « Notes historiques des établissements entrepris à Cayenne par les Français depuis leur fondation jusqu’à ce jour, 1820 », basées sur des archives coloniales. Il s’agit d’un des éléments, parmi tant d’autres mis en évidence par Catherine Le Pelletier, pour illustrer le fait que dans cette Guyane du 19e siècle, la littérature est d’abord le fait des dominants, un siècle où la position sociale fait l’écrivain et la vision de ce dernier sur la société fait sa littérature et donc celle qui définit la Guyane à une époque donnée. Autre repère, autre positionnement identitaire, celui de Thomas Ismayl Urbain, fils illégitime d’un négociant blanc et une « femme de couleur libre » qui fait entendre « une nouvelle voix » dont Catherine Le Pelletier analyse l’apport dans la genèse de la littérature guyanaise.
Les analyses contenues dans Littérature et société : La Guyane portent sur différentes parutions, sur plusieurs méthodes d’écriture, sur les ambitions de ceux qui écrivent sur et autour de la Guyane et ses peuples, et permettent de déterminer ou non la validité des récits ou des tableaux qui se succèdent au fil des écrits.
Atipa, premier roman en créole
Plus présent à l’esprit et dans les connaissances, bien d’autres jalons, des enchaînements de l’histoire, des rapprochements entre les pratiques littéraires que l’auteure fournit au lecteur pour lui permettre de mieux comprendre le profil de ce qui fera en définitive la littérature de la Guyane. Comme Atipa (Parepou), premier roman en créole, « l’une des premières marques de la littérature de Guyane », dans lequel on relève des figures d’humour, une myriade de proverbes et une critique de la société, des attributs qui en font un incontournable quand on parle de la littérature guyanaise. Également bien présent à l’esprit, l’image de la Guyane véhiculée à travers différents ouvrages et qui s’est, entre autres, construite au fil d’une succession d’écrits parmi lesquels on retiendra ceux nés d’auteurs passés par le bagne ou encore du journaliste Albert Londres. Catherine Le Pelletier compare, examine, critique les textes pour mettre à jour la façon dont a été tracé le portrait de la Guyane à travers les siècles derniers, ramenant très concrètement (citations explicites à l’appui) le lecteur aux sources de la diffusion des stéréotypes. Elle relève les insinuations qui trahissent les auteurs qui s’engouffrent dans la brèche des idées reçues, jusque dans le rapport à la Guyane d’un certain auteur contemporain qui associe « géographie physique et géographie humaine ».
Dans ces rapports difficiles et différents à la Guyane, on retrouve d’autres indices révélateurs et éclairants où l’histoire de la littérature de la Guyane se lit à travers les rapports et les échanges entre des personnalités marquantes. Ainsi, à travers les échanges entre Félix Eboué avec René Maran, auteur guyanais et Prix Goncourt (1921) d’une part, et ceux du même gouverneur d’autre part avec André Gide, Nobel de littérature de littérature (1947), on peut noter déjà les premières manifestations d’exaspération quant à la mauvaise publicité faite à la Guyane, mais aussi, par extension, à ses populations. Les antagonismes ne manquent pas et vont quelque part contribuer, entre autres, à influencer par réaction l’éloquence des auteurs guyanais.
C’est justement le contenu de leurs discours qui compose la suite de l’ouvrage, lequel aborde dans ses seconde et troisième parties : La littérature guyanaise, émergence, les étapes d’une formation discursive, XXe siècle et Le discours littéraire guyanais contemporain : ses traits distinctifs.
Léon-Gontran Damas, « un éthnologue averti »
Là, l’auteure va encore plus en avant dans l’analyse de la structuration et du concept de la littérature guyanaise, explorant ses formes et les modalités de son épanouissement. C’est logiquement un regard longuement porté sur le roman de René Maran. Le lecteur du réputé Batouala découvre à travers les éclairages de Catherine Le Pelletier des aspects spécifiques essentiels de la construction de cette œuvre. Les éléments narratifs, la composition, le style et les règles du discours privilégié par René Maran pour ce premier roman sont passés en revue. Des récits de voyage, on passe au roman dénonçant la colonisation qui vise à faire naître une nouvelle identité. Dans le cadre d’une étude qui élargit l’analyse à l’environnement qui intéresse et va à la rencontre des écrits guyanais, Catherine Le Pelletier s’attache à déchiffrer les caractéristiques d’Atipa, roman guyanais et Batouala, véritable roman africain. En passant par les conceptions et les théories ethnologique ou ethnographique, elle arrive à l’œuvre du poète Léon-Gontran Damas, « un ethnologue averti ». C’est à travers l’étude de ses écrits que revient avec force dans cette étude l’analyse de l’affirmation de l’identité guyanaise et, puisqu’il s’agit de Damas, de la Négritude. Dans un discours qui n’épargne personne, même pas les siens, elle met en exergue la « Négritude guyanaise » à travers la vie et l’œuvre de Léon-Gontran Damas.
C’est l’histoire de l’évolution de la littérature guyanaise en parallèle de la littérature francophone ou caribéenne que les auteurs contribuent à construire et pour laquelle il s’agit aussi, pour Catherine Le Pelletier, d’envisager aussi une approche sémiotique et linguistique qui va concerner plus pratiquement le discours littéraire. Les codes et formes d’expressions répertoriés par l’auteure apportent de la matière à la compréhension de la littérature orale qui tient une belle place dans la littérature guyanaise. Cette littérature orale, elle la définit comme « tout discours récitatif, narratif, dialoguant… » qui « s’accompagne d’une recherche stylistique, d’effets, d’émotions, de réactions du public », en l’occurrence les contes, légendes et autres dolos. En plus de définir cette forme d’une littérature vivante, elle ouvre une page sur la littérature qui se fait politique.
De Thomas Ismaël Urbain, le fils de colon adepte de l’assimilation à la « pensée européenne », à l’auteur d’Atipa, premier roman guyanais, de Batouala – Véritable roman nègre à Damas et la guyanité, en passant par le plurilinguisme guyanais jusqu’aux filles de Cham vues par la romancière et poète guyanaise Françoise Loe-Mie, ce livre propose une large analyse de l’évolution de la littérature de la Guyane, avec dans le même temps un regard en arrière qui favorise une mise en perspective avec des éléments d’ensemble qui permet d’en mesurer les propriétés et effets.
L’ouvrage, lui-même outil de travail, met à la disposition du lecteur un décantage élaboré qui vise à clarifier sinon à illustrer l’évolution de la littérature guyanaise, l’élaboration de son discours, les changements dans les attitudes littéraires à travers plusieurs siècles.
Littérature et société : la Guyane
Catherine Le Pelletier
Ibis Rouge éditions
348 pages
30 euros