Jean-Georges Chali et Axel Arthéron explorent l’œuvre de l’écrivain martiniquais Vincent Placoly dans un essai littéraire qui vient de paraître.
Quand Vincent Placoly reçoit en 1983 le prix Casa de las Americas pour sa pièce Dessalines ou la passion de l’indépendance, il est l’un des premiers Martiniquais à recevoir cette distinction. En réalité, il s’était distingué dès le début des années 70, s’affirmant progressivement comme une figure tenant une place à part dans la littérature caribéenne et martiniquaise. Dans leur ouvrage, paru sous le titre, Vincent Placoly : un écrivain de la décolonisation (Ibis Rouge Éditions, 2014), Jean-Georges Chali et Axel Arthéron analysent l’œuvre et le parcours de l’auteur.
Ce livre marque une nouvelle étape dans le travail entrepris par Jean-Georges Chali dans son livre Vincent Placoly, un créole américain (éd. Desnel, 2008). Axel Arthéron, qu’il a eu pour étudiant, visite aujourd’hui avec lui la poésie et la réflexion de l’auteur disparu en 1992. Cette démarche va dans le sens du prolongement et de l’approfondissement de la connaissance des écritures de l’auteur martiniquais. « Il faut savoir que Placoly est aussi bien romancier que dramaturge et critique. Il nous semblait pertinent de poursuivre la traversée de son écriture, puisque nous estimons que c’est une œuvre qui n’a pas eu l’opportunité d’être suffisamment lue, d’être suffisamment enseignée et d’être suffisamment mise en perspective avec l’ensemble des œuvres de la littérature créole du 20e siècle » explique dans un premier temps Axel Arthéron, qui précise être honoré de signer ce projet avec celui qui a tout d’abord été son professeur.
Un écrivain du 20e siècle, auteur engagé
Quand on lui demande de dire qui était cet auteur martiniquais, Jean-Georges Chali nous parle non seulement de l’homme de lettres mais fait également allusion au militant. Il situe l’auteur dans son œuvre et dans son environnement social, un « écrivain du 20e siècle, auteur engagé qui a écrit sur l’américanité. Il commence à écrire dans les années 60 avec une pièce de théâtre – La Fin douloureuse et tragique d’André Aliker – et écrit ensuite son premier roman (1971) : La vie et la mort de Marcel Gonstran, il a alors 25 ans. Puis un deuxième roman en 1973, qui sort tout juste avant le Malemort de Glissant, L’eau-de-mort guildive (…) Frères volcans, Une journée torride et enfin une pièce de théâtre : Dessalines ou la passion de l’indépendance. Donc un auteur engagé, auteur anticolonialiste, qui prend à bras le corps le problème des travailleurs, des masses populaires, c’est un défenseur de la classe ouvrière(…) ».
Il règne autour de l’œuvre de Vincent Placoly, disparu depuis plus de 22 ans, une discrétion qui peut trouver diverses explications, parmi lesquelles la présence proéminente d’autres auteurs martiniquais, à l’heure où paraissent ses premiers textes. « Quand Placoly écrit, c’est la fin des années 60, le début des années 70, le théâtre de Césaire est à son apogée, les mises en scène se succèdent et plus que jamais Césaire apparaît comme la tête de pont (…). Il y a aussi Glissant qui a déjà un Renaudot. C’est compliqué de se positionner entre Césaire, Glissant et même Frantz Fanon » détaille Axel Arthéron, qui fournit ainsi, en partie, une explication au mutisme constaté autour des écrits de Vincent Placoly. Jean-Georges Chali complète cette explication par ce qui fait la réalité de l’auteur activiste et met en évidence le tort fait à la littérature caribéenne à travers celle de Placoly. « Il y aussi le fait que l’on ne donne pas à cette littérature, comme on n’a pas donné à Zobel ou à Césaire, la possibilité de s’exprimer. Il ne faut pas oublier le poids du colonialisme et de l’aliénation où nos auteurs ne sont pas présents dans nos écoles, où la langue créole est reléguée au second plan. Donc cette littérature est jugulée. On efface cette littérature des rayons des bibliothèques, des rayons des librairies, de l’enseignement, ce sont des auteurs qui ne sont jamais entrés dans le code de l’enseignement » constate Jean-Georges Chali.
Sortir l’œuvre de Vincent Placoly de l’oubli, c’est aussi exposer une identité littéraire que Jean-Georges Chali a préalablement abordé, dans Vincent Placoly, un Créole américain, cette analyse concerne aussi le plus récent Vincent Placoly un écrivain de la décolonisation. Cette identité, c’est l’américanité qui habite l’écriture de Placoly. Il s’agit concrètement de la « filiation avec l’ensemble des écrivains américains au sens large » que décrivent les deux universitaires. Son rapport aux auteurs de la Caraïbe et à leur vision du réel singularise la plume de l’auteur martiniquais dont la pensée côtoie d’autres mouvements comme ceux de la Négritude et de la Créolité. « C’est un hispanisant, il a fait des études dans ce sens et lit beaucoup Jorge Luis Borges, Alejo Carpentier, Gabriel García Márquez, il est porté par ces écrivains. En dehors des Latino-Américains, il y aussi des écrivains anglophones comme V.S. Naipaul, qui vont marquer son écriture. Il y a donc un enracinement dans le bassin caribéen au niveau de sa pensée même, avec par exemple le réel merveilleux – real maravilloso – de Carpentier qui est porté par l’écriture de Vincent Placoly. Il va puiser dans l’histoire des îles, notamment des îles de la Caraïbe, dans celles des Arawaks, ce notamment à travers son premier roman, dans lequel on va retrouver les traces de l’histoire amérindienne » décrit encore Jean-Georges Chali.
L’américanité chez d’autres auteurs martiniquais
Dans Vincent Placoly : un écrivain de la décolonisation, Jean-Georges Chali et Axel Arthéron mettent en avant l’américanité et le langage littéraire qui exaltent le discours de Vincent Placoly, des points qui se déterminent par un style et une esthétique dans lesquels se reconnaissent d’autres auteurs antillais. Parmi les exemples cités, Xavier Orville, contemporain de Vincent Placoly, qui revendique la même américanité et a « travaillé sur la perspective du réel merveilleux » selon Axel Arthéron. Ce dernier relève que l’on retrouve cette américanité chez une nouvelle génération d’auteurs : « il y a toute une nouvelle littérature qui émerge et qui se définit comme une littérature américaine, d’Amérique française. Quelqu’un comme Alfred Alexandre se considère comme un écrivain américain de langue française. Jean-Marc Rosier, lui aussi, poursuit ce travail, il pense qu’il y a un certain nombre de proximités avec les Amériques. Il y a comme une filiation, sans être revendiquée, on peut voir comme des parentés idéologiques, des parentés en terme d’esthétique et une volonté commune de cheminer en terres américaines ».
Le livre vient met en avant une filiation portée aujourd’hui par de jeunes auteurs, mais également le contexte et le discours politique qui font la littérature de Vincent Placoly. Les auteurs y démontrent l’apport de son écriture engagée à la littérature caribéenne dans son ensemble et, dans le même temps, l’étude illustre combien, sans se départir de son esthétique, le discours de Placoly a pu éclairer sur une réalité historique politique à laquelle il est resté pleinement attentif.
Vincent Placoly : un écrivain de la décolonisation
Jean-Georges Chali, Axel Arthéron
Ibis Rouge Éditions, 2014
240 pages
20 euros