Diffusé le mardi 16 avril 2013 dans le magazine Théma sur Arte, Assistance mortelle de Raoul Peck établit une analyse rigoureuse de l’après catastrophe à Haïti. Un film présenté au Festival de Berlin en 2013 et dans lequel le réalisateur et producteur a réuni, des mois durant, des informations qui permettent d’établir un bilan consternant.
Raoul Peck est né à Haïti, a grandi aux États-Unis et étudié en France, mais a aussi occupé le poste de ministre de la Culture de son pays natal entre 1996 et 1997. Avec Assistance mortelle, il expose une situation qui met en évidence la faillite de l’aide internationale en Haïti. La diffusion du film sera suivie, à partir de 22 h 25, d’un entretien lors duquel Raoul Peck répondra aux questions d’Émilie Aubry.
Raoul Peck entame son travail d’observation juste après la catastrophe du 12 janvier 2010, à l’heure où interviennent les organisations internationales, venues en nombre pour aider un pays où l’on compte pas moins de 250 000 tués, 300 000 blessés et plus d’un million de personnes sans abris. Raoul Peck réunit pendant des mois les éléments qui permettent d’expliquer l’insuccès et de comprendre pourquoi l’effort de solidarité a périclité. Le déplacement des experts, les convictions et les perspectives des donateurs, les millions de dollars promis n’ont pas contribué à apporter de solutions aux milliers de personnes qui vivent encore sous les tentes. Raoul Peck s’efforce de montrer ce qui a entravé la bonne marche des différents programmes. Sa caméra se tourne vers ceux qui, sur le terrain, peuvent témoigner : décideurs politiques, techniciens ou chefs d’entreprise et bien entendu le peuple lui-même. Leur expérience doit permettre de déceler les raisons d’un tel revers, de savoir pourquoi sur le terrain les Haïtiens ne perçoivent pas les effets des milliards prévus, ou encore pourquoi camp Corail, plus grand bidonville de Port-au-Prince, accueille encore bien plus de squatteurs.
Un film de Raoul Peck sur l’aide internationale à Haïti
Le film inspecte « les coulisses de l’aide internationale à Haïti ». Plus précisément, selon le cinéaste, ce film « parle de désorganisation et de poker menteur. Les grands bailleurs, les États, les institutions financières internationales, les ONG sont isolés dans leur bulle, loin des Haïtiens. Ils sont tous dans des logiques différentes, voire opposées, sans communication ni coordination entre eux. Chacun veut être libre de gérer l’argent qu’il donne. L’Union européenne n’a par exemple pas envie que les États-Unis donnent leur avis sur sa façon de dépenser son argent. Autre absurdité : les bailleurs ont des comptabilités et des calendriers différents. On est dans l’approximation totale ». Le film soulève inévitablement les questionnements récurrents d’une part sur les relations historiques, politiques et économiques entre Haïti et les « pays amis » et d’autre part sur un système qui ne laisse pas le pays décider des modalités de sa propre reconstruction. Outre les dérèglements, la confusion autour des canaux de décision, les règles internationales de comptabilité une fois prise en compte peuvent éclairer la compréhension de cette situation désastreuse. L’apport et le point de vue du cinéaste haïtien qui investit le système et l’examine avec minutie permettent d’en repérer toutes les défaillances. C’est une approche forcément spécifique. Ainsi, la « singularité de sa démarche de cinéaste » peut renforcer le cheminement vers une meilleure compréhension de la situation : « je me pose toujours la question, avant chaque film, sur ce qui me distingue des autres et me permet de faire des films différents. Je savais qu’après le tremblement de terre, l’approche journalistique dominerait, et ce à travers un regard extérieur. Moi, j’ai voulu m’intéresser au processus, identifier les mécanismes, radiographier la machine à broyer. J’ai filmé de l’intérieur de cette machine : des lieux de discussions et de décisions, du gouvernement, des Nations-Unies, des ONG, etc. En tant qu’Haïtien et ancien ministre de la Culture (1996-1997), j’avais le privilège d’avoir quasi libre accès à tout le monde. J’ai pu tourner pendant deux ans ».
Assistance mortelle, mardi 16 avril à 20 h 50, sur Arte
Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre sans précédent frappe les côtes d’Haïti et sa capitale surpeuplée, Port-au-Prince. 230 000 personnes sont tuées et 1,5 million d’autres sont laissées sans-abris. À travers une longue observation de 24 mois sur le terrain, le réalisateur haïtien Raoul Peck met en cause la calamiteuse gestion par la communauté internationale d’une situation post-catastrophe complexe.
Des centaines d’ONG du monde entier, bientôt suivies par des experts internationaux, arrivent pour les efforts de secours immédiats et pour soutenir le pays dans ses nombreux besoins (hébergement, déblaiement des débris, hygiène, soins médicaux…). La communauté internationale promet son aide inconditionnelle pour reconstruire le pays : 5 milliards de dollars sur les 18 premiers mois, et un total de 11 milliards de dollars sur 5 ans. En avril 2010, la Commission intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), co-présidée par Bill Clinton et le premier ministre haïtien Jean-Max Bellerive, est créée pour superviser et coordonner l’ensemble des projets de reconstruction.
La « machine de l’aide » va peu à peu prendre le dessus sur les institutions haïtiennes, interrompant brutalement toute initiative locale. Trois ans plus tard, la population haïtienne a non seulement été passablement marginalisée lors de ce discutable processus de reconstruction, mais se retrouve sans aucun doute encore plus démunie qu’avant la catastrophe. On ne peut que constater que les 11 milliards de dollars promis collectivement à Haïti n’ont jamais été totalement déboursés, et encore moins utilisés pour une reconstruction réelle.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment le monde entier arrivé au chevet d’Haïti, et si volontaire pour aider ce pays de 10 millions d’habitants, a-t-il pu autant se tromper ?
Factuel et sans concessions, Assistance mortelle porte un coup sévère à la bonne conscience caritative et à l’entêtement institutionnel. Ce film expose l’échec généralisé de l’aide au développement et revendique la seule issue acceptable : l’arrêt immédiat des politiques et pratiques actuelles de « l’aide » et la redéfinition durable de son rôle et de sa gestion.